L’OSM présentait samedi soir, pour la deuxième année d’affilée, un concert-bénéfice dans un stationnement de l’aéroport Montréal-Trudeau. Compte rendu d’une soirée pas comme les autres.

Lieu inusité

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

La cheffe d’orchestre Dina Gilbert

« Ça va être un ajout dans ma liste de concerts inusités ! » Cheffe assistante à l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) de 2013 à 2016, Dina Gilbert, qui dirige aussi l’Orchestre de l’Estuaire, à Rimouski, et l’Orchestre symphonique de Kamloops, en Colombie-Britannique, a souvent mené des concerts en extérieur. Mais devant un parterre de voitures ? Jamais. « Il s’agit juste de se dire : O.K., il y a des humains derrière ! », nous disait-elle en entrevue, quelques jours avant le concert de samedi.

Mais voitures ou pas, et même si la musique est entendue à travers les haut-parleurs de l’auto, pour Dina Gilbert, il s’agit bel et bien d’un concert devant public. « Oui, parce que c’est en temps réel. » Pour la jeune cheffe originaire de la Beauce, il s’agit d’abord d’une expérience.

« C’est comme une célébration. Les gens sont en sécurité dans leur voiture, ils viennent en famille, les enfants peuvent manger du pop-corn et poser des questions. C’est l’occasion de voir un évènement qui sort de l’ordinaire et je ne sais pas combien de fois dans notre vie on pourra faire cette expérience. Alors pourquoi pas ? »

Météo

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

La pluie s’est arrêtée peu avant le début de concert.

Trente minutes avant le début du concert prévu à 19 h, l’orage grondait et des trombes d’eau tombaient sur Montréal. Dans le stationnement déjà bien rempli – 400 voitures ont été admises sur le site, soit le maximum permis par la Santé publique –, les gens qui étaient arrivés plus tôt pour faire un pique-nique avaient dû se réfugier à l’intérieur de leur véhicule.

« Ça prend quatre mois, organiser un concert comme celui-là. On peut anticiper plein de problèmes, mais la météo, je ne peux pas la contrôler », nous a expliqué en souriant derrière son masque Sébastien Almon, directeur des tournées et opérations artistiques, dont le rôle est de « donner aux musiciens les meilleures conditions matérielles » pour qu’ils se sentent sous le chapiteau comme s’ils étaient à la Maison symphonique.

« C’est sûr que ce n’est pas agréable comme situation. Mais depuis 35 ans que je travaille à l’OSM, les cieux ont toujours été de notre bord », nous disait de son côté la directrice de production Marie-Claude Briand. « On a encore une demi-heure devant nous, on y croit. »

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Un spectateur capte un moment du concert.

Les deux collègues suivaient évidemment la météo à la minute. « On est sur le téléphone et on regarde les vagues. Celle-là, on pense qu’elle va se terminer avant 19 h, mais il y en a une troisième qui arrive, du côté d’Ottawa, on la surveille », disait Sébastien Almon, qui nous a raconté qu’un peu plus tôt, au plus fort de la pluie, un grand coup de vent a fait tomber tous les lutrins sur la scène. « C’est impressionnant ! Je m’en souviendrai longtemps, de cette soirée. »

Finalement, l’OSM l’aura échappé belle encore une fois. La pluie avait totalement cessé lorsque le concert a commencé avec une quinzaine de minutes de retard, et la vague venue d’Ottawa n’aura laissé que quelques gouttes un peu plus tard pendant une dizaine de minutes.

Avions

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Timothy Chooi, soliste invité

Un autre élément incontrôlable : le bruit des avions. On a pu constater samedi que si la circulation aérienne n’est pas redevenue ce qu’elle était, il y a quand même de l’action dans le ciel de Montréal. Pour le soliste Timothy Chooi, venu jouer le Concerto pour violon en ré mineur de Sibelius, il a fallu un maximum de concentration pour ne pas se laisser distraire par le son envahissant qui est venu s’immiscer dans sa très exigeante partition – sur l’écran géant, on a pu voir sa surprise en gros plan.

« À l’extérieur, on est exposés à des facteurs autres, du vent, des moustiques, la luminosité, le soleil qui se couche… On doit s’adapter à l’environnement », nous expliquait Dina Gilbert en entrevue. On l’a quand même vue quelques fois lever les yeux au ciel pendant le concert, alors que le bruit des moteurs couvrait la musique. Lorsque le trafic aérien sera redevenu normal, un concert à l’aéroport ne sera peut-être plus envisageable.

Sport et musique

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Le skieur acrobatique Mikaël Kingsbury animait la soirée.

Le médaillé olympique et triple champion du monde Mikaël Kingsbury animait cette soirée intitulée Quand le ciel devient musique. Dans de sympathiques interventions avec la cheffe Dina Gilbert, il a dressé les similitudes entre la musique et le sport. « Ce sont deux univers qui se ressemblent du côté de la performance », a dit au public le skieur acrobatique, racontant que pour lui, écouter de la musique classique avant une compétition était comme un « massage pour le cerveau ».

Précision, dextérité, répétition, rigueur, travail d’équipe, concentration : les points communs entre les deux disciplines sont nombreux, nous expliquait d’ailleurs Dina Gilbert en entrevue. « La haute voltige, la virtuosité, le dépassement, la passion : il y a énormément de liens entre la musique et le sport. C’est pour ça qu’on commence le concert avec l’œuvre de Maxime Goulet, Citius, Altius, Fortius !, qui était le thème des Jeux olympiques de Vancouver en 2010. »

Programme

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Un maximum de 400 voitures ont pu se garer dans le stationnement de l’aéroport de Montréal.

Quand on élabore un concert extérieur, le programme doit suivre un rythme, explique Dina Gilbert. « C’est comme un menu sept services. » Samedi, on est allé de l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart jusqu’au troisième mouvement de la Symphonie n3 de Brahms en passant par une œuvre très puissante du Canadien d’origine sri-lankaise Dinuk Wijeratne, Two Pop Songs on Antique Poems.

Étrangement, c’est comme si la météo avait suivi la même progression. Tellement que lors de la finale avec la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, choisie pour insuffler « une dose d’optimisme », la lumière rosée du soleil couchant a tout à coup éclairé le stationnement P5. Un moment magique, et pas surprenant qu’à la fin des spectateurs aient eu le réflexe de sortir de leur voiture pour applaudir « pour vrai », pendant que bien sûr les klaxons se déchaînaient.

« Il faut voir ça comme une expérience inusitée, nous disait Dina Gilbert en entrevue. C’est flyé. Et si c’est flyé, j’embarque. » Embarquer avec l’OSM samedi soir aura en effet été un voyage particulier et plein de rebondissements, à ranger au rayon des beaux et étranges souvenirs pandémiques.