Folk ? Punk ? Slam ? La chanteuse montréalaise Erica Pomerance défiait toute étiquette. La preuve dans ce concert de 1972, tout juste ressuscité.

On trouve de tout dans les poubelles, y compris de la bonne musique.

Parlez-en aux gars de l’étiquette Tour de bras, qui sont littéralement tombés sur un trésor il y a cinq ans, en fouillant dans les vidanges de la Cinémathèque, à la suite de la fermeture de la Phonothèque.

La boîte était pleine de vieux enregistrements du Quatuor de jazz libre du Québec, groupe culte de la fin des années 1960, connu pour ses collaborations avec Robert Charlebois.

Mais elle contenait aussi le concert d’une certaine Erica Pomerance, datant de 1972…

Vous connaissez peut-être cette artiste montréalaise comme documentariste. Ses films sur la condition féminine en Afrique ont fait le tour des festivals. Elle vit toujours et habite présentement au Mali.

Mais peu de gens savent qu’Erica Pomerance a commencé son parcours comme auteure-compositrice-interprète à la fin des années 1960, avec un style assez unique, situé quelque part entre folk, impro, délire verbal et psychédélisme.

Encore plus original : cette juive anglophone avait décidé de chanter en français, un choix politiquement audacieux, voire confrontant, pour l’époque.

Lancé en 1968, son seul album studio (You Used to Think) est aujourd’hui introuvable et vaudrait dans les centaines de dollars chez les collectionneurs. Mais les curieux peuvent désormais se rabattre sur ce spectacle de 1972, réédité conjointement par Tour de Bras et Trésor national, deux maisons de disques spécialisées dans la sauvegarde du patrimoine sonore québécois.

« Il nous semblait inévitable de la publier », résume tout simplement Éric Normand, de Tour de Bras.

On peut comprendre.

Seule à la guitare, Erica Pomerance avait remplacé, ce soir-là, les têtes d’affiche qui devaient se produire au Petit Québec Libre pour la Fête des travailleurs. Sa performance incandescente témoigne d’un feu particulier : hippie allumée, protestataire dans l’âme, la chanteuse éructe et improvise sur des thèmes à la fois sociaux, politiques et personnels qui vont de Woodstock à Woolworth, en passant par John Lennon, les évènements de mai 68 en France et son propre frère, aujourd’hui disparu.

Le résultat ne s’adresse pas à tout le monde. On dirait du Joan Baez qui a mangé du tigre. Mais on ne peut nier la « fraîcheur » de cette performance habitée.

La musique est folk, l’attitude est punk. Les impros vocales font penser à un ancêtre du slam. Rien à voir avec le folk fleuri et rassembleur qui était en train de prendre forme au Québec.

Erica Pomerance venait d’une famille de militants communistes de Côte Saint-Luc. Avait étudié la littérature française à McGill. Vécu à New York. Habité à Paris. Son profil atypique la rendait aussi originale que peu commerciale.

Ce qui explique peut-être son absence de succès et sa carrière complètement marginale.

Une époque de « brassage contre-culturel »

Cinquante ans plus tard, la principale intéressée se réjouit de voir ses chansons refaire surface.

Quand on finit par la joindre à Bamako, après plusieurs tentatives infructueuses, la dame de 75 ans évoque avec plaisir cette « époque de brassage contre-culturel », où tous les métissages semblaient possibles, y compris celui de chanter en français pour une juive anglophone.

« Il y a beaucoup d’influences qui m’ont touchée en même temps. Je me cherchais. C’était le tourbillon. Je me laissais aller », dit-elle.

Montréalaise jusqu’au bout des ongles, Erica Pomerance parle de ses « trips » à Greenwich Village. De son amitié avec Leonard Cohen, qu’elle présente comme « une grande influence ». De ses voyages sur la côte Ouest. De ses vacances dans le Sud alors qu’elle aurait dû promouvoir son premier disque, enregistré à New York et remarqué à l’époque par Vogue Magazine.

« J’avais l’ambition de réussir, mais pas une once de talent commercial », dit-elle en riant.

Elle raconte comment elle s’est retrouvée à Paris en plein cœur de mai 68, où elle n’a pas lancé de pavés, mais fumé des joints à l’Odéon. De son retour à Montréal avec la comédie musicale Hair. De son arrestation par la police en octobre 1970 parce qu’on l’avait prise pour une felquiste liée aux Black Panthers…

Elle parle aussi de ses spectacles controversés dans le Vieux-Montréal, sous la tutelle de Lawrence Lepage.

PHOTO FOURNIE PAR ERICA POMERANCE

Erica Pomerance

Certains indépendantistes ne voulaient pas que je chante en français. Ils ne comprenaient pas trop d’où je venais. Je ne représentais pas trop la ligne politique.

Erica Pomerance

Ne leur en déplaise, elle va pourtant devenir plus franco que les francos. Après ses années de musique, Erica Pomerance s’installe aux Îles-de-la-Madeleine, où elle devient journaliste pour la radio CFIM, puis pour Radio-Québec, l’ancêtre de Télé-Québec.

Elle ne revient à Montréal qu’en 1986, où elle confirme son statut de documentariste et devient un « pont » entre les communautés anglophone et francophone.

Mariée à un Malien, elle va poursuivre sa carrière de cinéaste avec un pied en Afrique de l’Ouest, où elle continue de s’investir pour la jeunesse et la sauvegarde de la culture dogon, menacée par les djihadistes du nord du Mali.

Improbable destin que le sien. Artiste, aventurière, « juive errante » comme elle le dit elle-même, Erica Pomerance est peut-être passée à côté du succès. Mais elle n’a jamais renié ses idéaux, son désir de métissage, son militantisme et ce besoin de liberté qui continuent de lui servir de boussole.

« Elle est l’artiste folk québécoise la plus décloisonnée qu’il m’ait été donné d’entendre, conclut Sébastien Desrosiers, de Trésor National. Son style est totalement libre, sa poésie, aussi ludique que groundée. Elle ne répond pas aux exigences du marché. Elle déroutait autant les anglophones que les francophones. Elle avait le don d’être au bon endroit au bon moment, mais l’anticonformiste cherchait le trouble aussi… Avec Erica, c’était l’inconfort et la différence… »

Tour de Bras et Trésor national souhaitent éditer un second volume de chansons d’Erica Pomerance. Si quelqu’un possède d’autres enregistrements, vous pouvez joindre Eric Normand à brasderic@gmail.com

IMAGE FOURNIE PAR TRÉSOR NATIONAL/TOUR DE BRAS

En concert au Petit Québec Libre, d’Erica Pomerance

En concert au Petit Québec Libre
Erica Pomerance
Trésor National/Tour de Bras