Émile Bilodeau a patienté trois ans après ses Rites de passage (2016) pour lancer son deuxième album, le temps sans doute d’atteindre sa Grandeur mature, titre (un peu pénible) qui coiffe 14 nouvelles pièces chargées à bloc.

L’auteur-compositeur-interprète de 23 ans sort de son appartement pour explorer le monde, le décrire, le dénoncer. « Les seuls qui nous envahissent sont ces sales gueules de racistes, les sexistes, les homophobes, toutes les autres microbes sur Terre, qui enrobent notre univers », chante-t-il aux côtés de Klô Pelgag sur le délire antiraciste Freddie Mercury.

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À l’image des vers susmentionnés, plutôt « frontaux », le coffre à outils de Bilodeau pour raconter s’avère inégal : métaphores, prépositions rimées style Brassens, excès verbeux, allégories, chroniques sociales, etc. On retient surtout cette liberté totale dans la parole : ses mots se déplacent aisément, narquoisement, sur une trame musicale réalisée une fois de plus par Philippe B. 

Cette fois, ça déménage davantage, sous l’impulsion des instruments à vent (Jérôme Dupuis-Cloutier, Renaud Gratton, Guillaume Bourque), des guitares électriques et de la batterie un brin délinquante de Sarah Dion.

Outre quelques mains tendues, Bilodeau chante l’écoanxiété — « Il y a des scientifiques qui crient à la panique, pis nous, on reste assis sur notre cul, on checke Netflix » —, la fratrie (Colin) et une nation au nom trop long qu’il voudrait pays. « Cacanadiens francophones d’origine française de la branche nord-américaine qui doit allégeance à la reine », nous décrit-il avec ironie sur Ton nom, clin d’œil au Elvis Gratton de son mentor Pierre Falardeau. 

IMAGE FOURNIE PAR GROSSE BOÎTE

Grandeur mature, d’Émile Bilodeau

Plus tôt, sur J’ai vu la France : « Y a pas grand risque qu’ils saisissent, que je suis Québécois, but they wish in English, that I’m from Canada. »

Anachronique, le chansonnier ? Courageux ? Sûrement un peu des deux. On le voit davantage autour d’un rond de feu avec Paul Piché, Richard Séguin et André Fortin que sur une scène intime, parmi des contemporains plus enclins à esquisser des portraits sentimentaux que sociaux ou politiques.

Mais ses 23 ans le conduisent, aussi et bien sûr, à l’amour. À Moona, conquête sentimentale et spatiale dans un costume de crooner de cabaret. À Candy, qu’il invite à une danse nihiliste pour oublier les « trolls au Sénat » et le « pétrole de l’Alberta ». Au Mont Royal également, dans un hommage à sa « p’tite montagne » qui ne passera pas à l’histoire.

Si l’on fait le total, Grandeur mature fait le pont entre deux générations, dans le fond — entre nationalistes d’hier et militants de la gauche ouverte d’aujourd’hui — comme dans la forme — entre chanson et musiques modernes. Les passages brouillons sont largement compensés par une bonhomie et une franchise contagieuses. Voilà une voix libre et discordante qui résonnera encore longtemps.

★★★1/2

Pop-rock. Grandeur mature. Émile Bilodeau. Grosse Boîte.