Dans son vidéoclip lancé hier pour la chanson Lesbian Break-up Song, Safia Nolin est complètement nue. La chanteuse, entourée de 13 femmes et personnes non-binaires, dénudées elles aussi, figurent dans des images qui ne mettent en scène aucune histoire et ne font que « célébrer » ces corps. Décryptage du clip avec les artistes devant et derrière la caméra.

Des corps de toutes sortes

La lumière d’abord timide devient de plus en plus franche, mais reste douce, sur le corps d’une dizaine de personnes nues. Au début du clip, elle éclaire en faisceaux le corps de Safia Nolin, assise sur une chaise.

Des scènes filmées sur un décor neutre, au fond blanc et parsemé de quelques accessoires, s’alternent avec des tableaux tournés en extérieur. Des corps se côtoient. Ils ont des formes et des couleurs diverses.

« Je voulais qu’on apprécie la femme dans son entièreté, qu’on montre des corps différents, explique Safia Nolin, jointe par téléphone hier. Je voulais montrer de vraies personnes. Ce qu’on voit dans les médias, ce n’est pas la réalité, c’est un standard qui n’est pas celui de la vraie vie. »

Le vidéoclip pour Lesbian Break-up Song est une ode aux « vrais corps ».

Affronter ses peurs

Ses seins, son pubis, ses fesses, les quelques tatouages qui couvrent son corps… Safia Nolin n’a mis aucun mur entre sa nudité et la caméra de Jeanne Joly et Patricia Lanoie, les réalisatrices.

« Au tout début, je me disais que j’allais le faire, mais plus le moment venait, plus j’avais la chienne », confie Safia Nolin.

Avant cette expérience, jamais la jeune femme n’avait partagé sa nudité avec une personne autre que celle qui partageait sa vie.

« Ça m’a fait vraiment peur, mais je veux faire les choses qui me font peur dans la vie. J’ai peur de prendre l’avion, alors je prends l’avion. Là, c’était la même chose. »

« Un trio de force »

Safia Nolin ne voit pas le vidéoclip de Lesbian Break-up Song comme « le vidéoclip de Safia Nolin ».

Le projet s’est fait en trio. Elle a apporté sa musique et ses mots, qui se sont liés aux images du duo de réalisatrices du studio Bien à vous.

Cassandra Cacheiro (photographe) et Sara Hini (direction artistique), créatrices du Womanhood Project, ont agi en tant que consultantes. Elles ont apporté « quelque chose de très sain et rassurant », de par leur présence et leurs conseils, dit Safia Nolin.

Les femmes du vidéoclip sont toutes des participantes du Womanhood Project. Cacheiro et Hini mènent un projet mondialement reconnu où des photographies et des entrevues brossent le portrait de la féminité dite par des femmes.

Les portraits explorent la nudité des sujets et veulent faire parvenir un « message d’acceptation de soi », explique Cassandra Cacheiro.

Le feu par le feu

Tous ces corps nus représentent « une réappropriation du corps » par rapport à l’objectification et la sexualisation, explique Sara Hini.

« C’est un peu combattre le feu par le feu, ajoute-t-elle. Utiliser le corps nu pour réinventer et changer la perception qui est ancrée en nous tous. »

Sur le plateau de tournage, cet été, il n’y avait d’ailleurs que des femmes et des personnes non-binaires. « Je veux toujours créer des choses qui n’existent pas », dit Safia Nolin.

Des vidéoclips où aucun homme ne participe au projet, ça n’arrive pas souvent – ce n’est peut-être même jamais arrivé.

Les créatrices de Bien à vous racontent que c’est une volonté de résister à un milieu où les hommes sont partout et en plus grand nombre qui les a d’abord motivés à prendre part au projet. 

Tout le monde tout nu

Safia et les participants qui apparaissent dans le vidéoclip ne sont pas les seuls à s’être dénudés. Toute l’équipe technique, les réalisatrices, ainsi que les artistes du Womanhood Project ont également passé les deux jours de tournage nues. Une symbiose s’est créée entre les femmes sur le plateau.

« C’était une communion totale, tellement libératrice, décrit Patricia Lanoie. C’était très émotif aussi, ça pleurait, c’était touchant. »

Les participants se sont confiés, témoignant de leurs réalités personnelles en tant que femme, que personne non-binaire. « C’est merveilleux qu’un clip soit sorti de tout ça, mais même si on n’avait pas filmé, c’était une expérience exaltante », témoigne Jeanne.

Retirer la sexualisation de la nudité

« Ce n’était pas un plateau en mode séduction, ce n’était que du monde qui chillait, raconte Safia Nolin. Il n’y avait rien de sexuel. Juste des humains. »

Si bien qu’après un certain temps, « la nudité était accessoire », normale. Dans le vidéoclip, les corps sont parfois montrés dans la nature et en interaction avec elle.

« On a voulu faire un parallèle avec des matières organiques, des animaux, explique Jeanne. La nature est fluctuante, étrange, mais on y trouve des choses sublimes sans les juger, sans les sexualiser. On voulait juxtaposer ça avec le rapport au corps humain. »

Il était aussi question de montrer la vulnérabilité et l’authenticité des personnes, sans érotisme, mais dans toute leur humanité, dit Sara Hini, du Womanhood Project.

L’opinion des gens

Les réactions en ligne ont suivi de près la parution du vidéoclip. Beaucoup ont louangé le « courage » et la « beauté » de la création. D’autres y sont allés de remarques acerbes.

Mais Safia Nolin ne s’en fait plus. L’important, pour elle, était de se servir de sa plateforme pour transmettre un message qui lui importe, dit-elle.

« Je me suis rendu compte que ça allait susciter une riposte, mais je n’y pense pas », lance la chanteuse. Celle qui a souvent été la cible d’attaques (contre son corps, sa façon de se vêtir) est passée à une nouvelle étape de sa vie : le détachement total avec ce que les mauvaises langues ont à dire.

« J’ai eu de la misère dans le passé, mais j’ai réalisé que, de toute façon, les gens vont chialer. Alors j’ai décidé de m’en crisser. »