Enveloppé par la beauté de son site situé aux abords du fleuve dans la MRC de La Côte-de-Gaspé, le Festival en chanson de Petite-Vallée est fait de rencontres uniques et de moments de grâce. Portait morcelé des premiers jours de l’évènement, qui se déroule jusqu’à samedi.

Les chansonneurs

Même si la formule a fluctué, cette particularité de Petite-Vallée a contribué à sa réputation : huit artistes de la relève réunis pour créer des chansons et les présenter au public. Mélodie Spear et Simon Kearney en font partie et, avec leurs six complices, ils ont eu deux semaines de résidence avant d’arriver au festival pour apprendre à se connaître et collaborer. Vendredi, à 16 h, ils présentaient leur spectacle au Chapiteau de la vieille forge et, depuis, on les croise partout : à la plage, au café, à un spectacle. « Là, on est plus dans l’appréciation », expliquait Mélodie Spear, le lendemain. 

« J’ai entendu tellement parler de cette place ; chaque fois, les gens en reviennent changés. Je comprends maintenant pourquoi. » — Mélodie Spear, à propos du Festival en chanson de Petite-Vallée

La chanteuse de 21 ans a aimé les échanges entre les artistes et est fière de leur prestation. « On était sur la coche, hein ? » Simon Kearney est un genre d’habitué de Petite-Vallée, puisqu’il a participé au Camp en chanson lorsqu’il était adolescent. Il avait justement eu Patrice Michaud pour moniteur — Patrice Michaud qui lui a d’ailleurs fait une belle place lors de son propre spectacle, samedi soir, le présentant comme son « petit frère ». Même s’il a déjà deux albums et un microalbum (un EP) a son actif et qu’il fait aussi partie de la programmation régulière, le chanteur de 23 ans était content de savoir qu’il pouvait participer aux Chansonneurs, parce qu’il y a toujours « des trucs à apprendre ». Rencontrer d’autres musiciens talentueux, écrire des chansons avec eux et passer la semaine à Petite-Vallée aura été une expérience exceptionnelle et, si elle ne l’a pas transformé comme artiste — « J’ai déjà trouvé mon style » —, elle l’a amplement nourri. « Ça m’a donné le goût d’écrire plus de chansons. »

La communauté

PHOTO ALEXYA CRÔTEAU-GRÉGOIRE, FOURNIE PAR LE FESTIVAL EN CHANSON DE PETITE-VALLÉE

Petite-Vallée est un village d’à peine 250 habitants, et on pourrait dire que la majorité d’entre eux s’impliquent comme bénévoles auprès de l’organisation du festival.

Petite-Vallée est un village d’à peine 250 habitants, et on pourrait dire que la majorité d’entre eux s’impliquent comme bénévoles auprès de l’organisation du festival. Ils sont souriants et accueillants, et c’est poussé par cette solidarité que le directeur général et artistique du festival, Alan Côté, est monté au front dès le lendemain de l’incendie qui a ravagé le Théâtre de la vieille forge, il y a deux ans. Les spectacles ont lieu depuis deux ans sous un chapiteau temporaire divisé en deux parties : la salle d’un côté (baptisée Chapiteau de la vieille forge), et le café de l’autre, sur le même magnifique site en bordure du fleuve. C’est là que tout se passe, c’est le cœur du festival où l’on peut côtoyer tous les artistes de passage, voir autant Patrice Michaud attablé avec sa petite famille qu’assister à un spectacle des Louanges debout à côté d’Émile Bilodeau, qui sera sur scène le lendemain à Grande-Vallée. Sensible à l’importance du festival dans la communauté et aux demandes de son directeur, la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, est venue en personne, samedi après-midi, annoncer l’octroi de 150 000 $ additionnels sur deux ans de son ministère pour permettre à l’organisation de mieux traverser cette période de transition vers un nouveau lieu permanent. Et elle a promis de s’impliquer pour que les 6,5 millions déjà provisionnés en vue de la construction de la nouvelle salle — Alan Côté espère le début des travaux pour l’automne 2020 et une inauguration à l’été 2021 — soient débloqués. « Je comprends qu’il faut un processus, mais je serai une facilitatrice. »

PHOTO ALEXANDRE COTTON, FOURNIE PAR LE FESTIVAL EN CHANSON DE PETITE-VALLÉE

Juste Robert

Un brunch avec Juste Robert

Samedi matin, 11 h, dans les locaux du Camp Chanson de Petite-Vallée. La salle est pleine pour Juste Robert — de son vrai nom Jean-Robert Drouillard —, venu faire le « lancement gaspésien » de son album Mon mammifère préféré, sorti il y a trois mois. Avant le début du spectacle, Alan Côté demande s’il y a des volontaires pour faire la vaisselle à la fin : trois mains se lèvent spontanément. Juste Robert commence à chanter ses chansons mélancoliques, qui s’accordent bien avec la brume gaspésienne qui ne nous lâchera pas de la fin de semaine, en racontant qu’il a lui-même été Chansonneur, il y a deux ans. « J’ai été surpris d’avoir été accepté, même si j’avais 47 ans. Mais Alan m’a dit : “C’est donc ben beau, ça. Tu sais que je connais ta mère ?” » Le chanteur, qui est né en Ontario mais qui a été élevé à Gaspé, est reparti avec une bourse de 10 000 $, qu’il a utilisée pour créer son album. Il était donc de retour cette année pour chanter devant sa mère, sa tante et de vieux amis. « C’est ça, Petite-Vallée, c’est tissé serré », nous a confié le chanteur quelques heures plus tard, conscient d’avoir vécu un moment, ce matin-là. La qualité d’écoute était en effet exceptionnelle, comme à tous les spectacles auxquels nous avons assisté. « On a même oublié que c’était un brunch, on n’entendait aucun bruit d’ustensiles. Et du monde a pleuré. » La force de Petite-Vallée, estime Juste Robert, c’est sa programmation qui rapproche des artistes qui a priori n’ont rien en commun, et les liens qui se créent ensuite entre eux et le festival. « Les artistes qui repartent d’ici se sentent proches… pour toujours. »

PHOTO ANDRÉ BUJOLD, FOURNIE PAR LE FESTIVAL EN CHANSON DE PETITE-VALLÉE

La cheffe de chœur, Danielle Vaillancourt

La prof au grand cœur

Le traditionnel spectacle de la Petite École de la chanson, pendant lequel 350 jeunes de la région ont chanté le répertoire du « passeur » invité, Patrice Michaud, était chargé émotivement, jeudi soir, pour la cheffe de chœur, Danielle Vaillancourt. Celle qui porte ce projet de chorale régionale depuis 28 ans a fait ce soir-là son dernier tour de piste. « Il est arrivé à maturité, comme un adulte », nous a-t-elle raconté samedi matin. « Il est temps qu’il y ait du changement. » C’est probablement sa fille Mathilde Côté, qui signe déjà les arrangements des pièces, qui prendra le relais. « Mais elle le fera autrement, à sa manière. » Tiens, encore une histoire de famille au Festival, qui a donné à son projet l’énergie dont elle avait besoin. 

« C’est une affaire de cœur et d’amour, et c’était une occasion de présenter le spectacle devant un large public. »  — Danielle Vaillancourt, cheffe de chœur du spectacle de la Petite École de la chanson

C’est en 1998, lorsque Gilles Vigneault était le passeur invité, que l’évènement a pris son envol. « Depuis, nous avons toujours entre 300 et 500 inscriptions. C’est devenu un classique. Et pas seulement des enfants du primaire, on a toujours eu une cinquantaine d’ados, aussi. » Elle-même musicienne et chanteuse — elle a une formation en chant classique —, elle a consacré d’innombrables heures à parcourir le territoire, de Sainte-Anne-des-Monts à la baie des Chaleurs, en passant par Gaspé, pour faire répéter les jeunes dans leurs écoles. Ce qu’elle retient de cette expérience ? « Les étoiles dans les yeux des enfants. Et, cette année, c’étaient des étoiles filantes. »

PHOTO ANDRÉ BUJOLD, FOURNIE PAR LE FESTIVAL EN CHANSON DE PETITE-VALLÉE

Florent Vollant (au centre) et ses musiciens

Les chansons rassembleuses Nikamu Mamuitun

Il y a deux ans et demi, le directeur général et artistique du festival, Alan Côté, a rêvé (littéralement) d’une rencontre créatrice entre autochtones et non-autochtones qui serait supervisée par Florent Vollant. Le résultat de cette longue et fructueuse démarche, qui se situe à l’exact opposé de la notion d’appropriation culturelle, s’est retrouvé sur la scène du Chapiteau de la vieille forge, samedi à 16 h. Devant une salle presque comble et un public hyper attentif, les artistes – certains plus auteurs, d’autres plus musiciens ou chanteurs – ont partagé une parole forte et sensible autour de la réalité autochtone, en innu, en atikamekw ou en français. Un grand moment de recueillement, une rencontre authentique et unique qui a soulevé bien des cœurs et répandu beaucoup de joie. « Quand Alan m’a appelé, je savais que je serais pris avec ça si je disais oui », a rigolé un Florent Vollant manifestement heureux à la fin du spectacle. « Mais j’ai été aussi pris avec ces beaux artistes, et avec vous, le public. Et je suis content que ça se passe à Petite-Vallée, dans ce lieu ouvert d’esprit. »

PHOTO JEAN-CHARLES LABARRE, FOURNIE PAR LE FESTIVAL EN CHANSON DE PETITE-VALLÉE

Zachary Richard

Au bout du monde avec Zachary

Droit comme un « i » avec sa guitare, Zachary Richard a envoûté le public qui s’était rendu en grand nombre au Chapiteau de la vieille forge, hier à 16 h. Le Louisianais, qui porte bien haut le flambeau de la langue, mais aussi celui de la liberté et de la suite du monde, a prouvé qu’il n’a rien perdu de sa pertinence, de son humour pince-sans-rire et de sa superbe. Dans une ambiance ultra émotive — les yeux rougis n’étaient vraiment pas rares à la fin de la représentation —, il a chanté les pièces les plus connues de son répertoire (La ballade de Jean Batailleur, Au bord du lac Bijou), mais aussi celles de son plus récent disque, qui toutes racontent de petits bouts d’histoire de son coin de pays et des personnages le peuplant. Appuyé admirablement par Francis Covan à l’accordéon et au violon — le musicien a reçu de véritables ovations à la fin de certains solos —, le vétéran a aussi laissé la place à son petit-fils Émile, qui écrit toujours des chansons avec son grand-père et qui tâte même de l’harmonica. « On va envoyer des molécules d’espoir dans l’atmosphère ; avec un peu de chance, elles vont retomber sur des hommes et des femmes qui en ont besoin. Le meilleur moyen que j’ai trouvé pour faire ça, c’est de chanter », a dit Zachary Richard au début du spectacle. Lorsque nous sommes sortis de la salle, une heure et demie plus tard, la brume s’était finalement dissipée après deux jours de grisaille. Parions que c’est la voix de Zachary Richard, toujours aussi vibrante, qui a fait revenir le soleil, et qu’elle résonne encore par-delà le fleuve. C’est la magie de Petite-Vallée.

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