Parmi les festivals qui animent des communautés entières, il y a ceux qui se sont développés autour d’un événement bien particulier. À Saint-Damase, c’est le derby de démolition qui est devenu au fil des années le cœur du Festival du maïs. Les passionnés devront toutefois dire adieu aux bolides l’an prochain. En attendant, le village de la Montérégie se prépare pour un 15e derby mémorable à partir du 31 juillet.

« Tout le monde connaît le derby de Saint-Damase, parce qu’un spectacle du genre qui se déroule sur trois jours, c’est rare », nous a affirmé le vétéran pilote Réjean Tassé, rencontré dans son atelier de fabrication de balcons de fibre de verre de Saint-Hyacinthe. « Le show est écœurant, les gens tripent raide, il y a une ambiance de feu, on se croirait dans un événement sportif majeur ! Quand les gens voient ça, ils veulent revenir, c’est sûr ! », a-t-il enchaîné, incrédule, quand on lui a appris que le derby allait disparaître en raison d’un problème de location de terrain.

Parce que le derby est devenu incontournable pour les gens de la région. « À Saint-Damase, c’est malade mental : ça va plus vite, ça fesse plus, ça brasse plus, nous a dit Réjean Tassé. Et il y a du monde, les gens se connaissent et il y a souvent beaucoup de débutants, des gens du coin qui se lancent des défis. Ça va donc faire un méchant trou si ça arrête. Pour moi, c’est mes vacances ; avec le derby de l’Expo agricole de Saint-Hyacinthe la semaine précédente, ça nous fait six courses de derby intense en 10 jours. Je vais être en manque ! »

« Je suis rendu à un modeste total de neuf trophées en huit ans, mais ça commence à être plus difficile de gagner ; c’est quand tu débutes que tu gagnes, parce que les autres se méfient moins de toi ! »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le promoteur André Bienvenue soutient que le derby de démolition coûte moins cher que toutes les autres formes de sport automobile : « C’est accessible, affirme-t-il. Avec deux ou trois petits commanditaires à 50 $, t’as du fun. »

Réjean Tassé prépare ainsi une douzaine de voitures par année, des autos bonnes pour la casse qu’il achète avant d’aller les revendre aux centres de recyclage après les épreuves. Il met de 16 à 20 heures pour préparer chaque auto, en prenant soin de faire les ajustements pour qu’elle dure le plus longtemps possible en piste. 

« Il y a plein de trucs pour préparer une auto qui va durer, nous a-t-il révélé en nous montrant le vieux Crown Victoria qu’il fera rouler cette année en catégorie V8. Par exemple, moi je retire le réservoir à essence et je le remplace par un réservoir de bateau que j’installe à la place de la banquette arrière. Je déplace aussi tous les composants électroniques et les couettes de fils vers le centre de l’auto. Aussi, avec le temps, tu connais mieux les autos qui roulent bien en démolition. »

Quand on lui fait remarquer qu’il met environ 240 heures par année pour préparer ses bagnoles, il se met à rire de bon cœur : « Vu de même, ça me tente un peu moins de continuer ! » Évidemment, on ne le croit pas une seule seconde. « C’est une passion, ce n’est pas autre chose, nous a-t-il confié. Il n’y a pas un buzz qui va accoter ça, c’est certain. Je fais du motocross et je n’y retrouve pas le même genre de poussée d’adrénaline. C’est impossible de trouver mieux. »

Les Gladiateurs de la route

André Bienvenue a fait du derby de démolition pendant 10 ans avant de prendre les rênes du derby de Saint-Hyacinthe, il y a près de 20 ans. S’est ensuite ajouté l’événement de Saint-Damase, puis ceux de Saint-Amable et de Calixa-Lavallée, qu’il a regroupés au sein des Gladiateurs de la route. Les derbys organisés par M. Bienvenue se distinguent par le fait qu’il s’agit de courses sur une petite piste ovale où tous les coups sont permis. La finale se tient dans la traditionnelle arène carrée. Cela permet aux voitures à moteur quatre cylindres, moins résistantes, de garder la forme jusqu’en finale. Aussi, M. Bienvenue a ajouté ses fameuses courses d’« autos-sandwichs » : deux voitures sont soudées l’une par-dessus l’autre, le pilote d’en haut dispose du volant alors que celui d’en bas est responsable du frein et de l’accélérateur. Il y a même des épreuves pour la relève âgée de 8 à 15 ans, qui roule avec un passager adulte. Ambulancier de métier, André Bienvenue ne lésine toutefois pas sur la sécurité : « Il faut toujours penser qu’il y a un être humain dans le char, il faut réfléchir, assure-t-il. Je fais toujours une bonne réunion avant les courses, ça a toujours porté des fruits. Aussi, les gars veulent donner un bon show ; les estrades sont pleines, ils sont sensibles à ça. »

Les amateurs vont très certainement se précipiter à Saint-Damase pour assister au dernier derby, du 31 juillet au 2 août. Malheureusement, l’organisation du Festival du maïs n’a pas réussi à s’entendre avec la propriétaire du terrain où se déroule le derby depuis 15 ans. Elle va donc tenter de mettre à profit le caractère familial de l’événement, mais elle est aussi à la recherche de nouvelles activités pour remplacer le derby, qui accueille près de 5000 personnes du jeudi au samedi. Le festival reconnaît qu’il a bénéficié de l’attrait du derby, mais il estime aujourd’hui s’en être affranchi.

« Le derby a permis d’attirer pas mal de monde, il y a davantage d’argent qui rentre, a reconnu le secrétaire-trésorier Yvon Blanchette. Mais les gens viennent maintenant au derby parce qu’on propose aussi plein d’autres activités. » L’affiche du festival annonce des musiciens et des humoristes bien connus du public — on accueille cette année Guylaine Tanguay et Martin Petit, entre autres. M. Blanchette estime d’ailleurs que les économies engendrées par l’annulation du derby devraient permettre de conserver les ressources pour continuer d’attirer des artistes de renom. « Si ça ne marche pas, on aura essayé, mais on n’est pas là pour perdre de l’argent, a reconnu M. Blanchette. S’il vient seulement 3000 personnes pour quatre jours, la municipalité ne va pas continuer de financer quelque chose qui ne fonctionne pas… »