Le compositeur de la musique de Game of Thrones (GOT) se lance dans une nouvelle tournée de 20 concerts — dont un à Toronto — et nous explique comment il a vécu cette aventure, dans une entrevue qu’il nous a accordée pour la sortie du huitième album de la série.

Comme quelques millions de gens, vous avez peut-être dit beaucoup de gros mots devant votre téléviseur lors du troisième épisode de la dernière saison de Game of Thrones, ce fameux épisode « trop sombre », le plus attendu de la série, où l’on ne voyait rien si l’on n’avait pas correctement ajusté la luminosité de son écran. 

On ne voyait pas grand-chose, mais, en revanche, on entendait la musique magnifique de Ramin Djawadi. La progression dramatique était incroyable pour cette longue nuit de bataille hivernale, jusqu’à cette bouleversante pièce au piano de neuf minutes quand (alerte au divulgâcheur) le Night King arrive au ralenti pour tuer Bran Stark – et ce n’est jamais bon signe, dans GOT, lorsqu’il y a du piano…

Si les discussions sont extrêmement polarisées en ce qui concerne la conclusion de Game of Thrones — on aime un peu ou on déteste beaucoup —, il y a par contre une chose sur laquelle tout le monde s’entend : la musique de Ramin Djawadi.

Ce compositeur de 44 ans, né en Allemagne d’un père iranien et d’une mère allemande, est en train de devenir un vrai poids lourd dans le monde de la musique de film. Fraîchement sorti du College of Music Berklee de Boston en 1998, il a rapidement été recruté par la boîte Remote Control, de Hans Zimmer, où il s’est fait les dents, avant de voler de ses propres ailes. Outre Game of Thrones, il a composé notamment les musiques des séries Westworld et des films Iron Man, Pacific Rim ou The Great Wall. L’an dernier, il a remporté un Emmy pour la pièce de The Dragon and the Wolf, entendue dans GOT.

Le ver d’oreille du générique

Mais il n’avait que 36 ans lorsqu’il a accepté le titanesque contrat de Game of Thrones. Le plus drôle est qu’il a un peu hésité au début, parce que son horaire était déjà chargé. « Je n’étais pas certain, car je voyais combien de musique allait être nécessaire pour la série, mais, avec le recul, je suis tellement content de l’avoir fait, parce que quelle aventure ç’a été ! », nous dit-il au téléphone.

Ramin Djawadi a composé la musique des 73 épisodes de la série, laissant sa marque pour toujours dans la culture populaire. Les albums de Game of Thrones ont atteint plus de 450 millions écoutes en continu (streaming). La maintenant célèbre pièce de piano The Night King de neuf minutes est devenue instantanément virale et s’est hissée dans le top 5 des pièces téléchargées sur iTunes et le top 20 des vidéos les plus regardées sur YouTube.

Comment un discret compositeur de musique de film (ce ne sont pas les gens les plus extravertis de l’industrie, disons) vit-il avec un tel fan-club ? « C’est très gratifiant », dit-il. 

« Quand j’ai écrit le thème [de Game of Thrones], je n’ai jamais pensé au succès de l’émission, et à quel point la musique allait toucher tant de gens dans le monde. Je voulais m’adresser directement à eux dans leur salon, qu’ils puissent se dire “oh, c’est notre émission” et les amener dedans. »

Ce qui donne la touche particulière à la musique de GOT est qu’elle est le paysage sonore d’un univers complètement inventé, qui ne demande pas un souci de réalisme. Donc, qui permet une grande liberté. Ramin Djawadi a tissé une relation étroite et de grande confiance avec les créateurs de la série, David Benioff et Daniel Brett Weiss. « On faisait juste s’asseoir dans une pièce et parler, et parce que c’est un monde fantastique, David et Dan disaient qu’on pouvait explorer, qu’on pouvait être contemporain, qu’on ne voulait pas seulement du son traditionnel, qu’on pouvait utiliser des instruments contemporains avec un nouveau style. Je n’ai pas essayé de correspondre à un style en particulier, parce qu’il n’y avait vraiment pas de règles, et c’est même bien plus difficile quand il n’y a pas de règles. »

Mélange des genres

Mais c’est peut-être sa marque de commerce, ce mélange éclectique entre le classique, la pop et la musique orientale. « Oui, ça reflète mon bagage. J’ai grandi en Allemagne, avec la musique pop, le jazz, en plus du parcours classique que j’ai, et parce que mon père est iranien, même si je ne parle pas sa langue, le farsi, cette musique instrumentale elle-même est une musique dans laquelle je me sens bien d’écrire et qu’on peut entendre dans mes compositions. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis devenu compositeur, parce que je crois qu’on peut mélanger les styles, que tout est possible. »

On n’a pas eu d’hallucination auditive dans notre salon lors du troisième épisode de la huitième saison, qui contenait une partition énorme. 

« [Le troisième épisode] était probablement le plus délicat et le plus exigeant, parce qu’il contenait plus de musique que dans n’importe quel autre épisode de la série, avec beaucoup d’action, beaucoup de tension, de construction et de soulagement. […] Ça m’a pris plus de travail pour cet épisode que pour n’importe quel autre. »

Pour les adeptes de Game of Thrones, un petit peu en deuil ces temps-ci, ça vaut la peine d’écouter à plein volume dans ses écouteurs la trame sonore de la huitième saison — un album généreux de 32 pièces. On ne saisit pas complètement ce travail musical à partir d’une télé quand on ne veut pas déranger les voisins. Mais, pour vivre la totale, avec des extraits visuels et la musique live, il y a la nouvelle série de concerts à ciel ouvert de Ramin Djawadi, après la tournée à succès de 2018. Ce sont 20 nouvelles dates qui ont été ajoutées, dont une au Budweiser Stage de Toronto, le 6 septembre prochain. Contrairement à beaucoup de compositeurs qui dirigent seulement l’orchestre, Ramin Djawadi n’hésite pas à jouer de la guitare électrique sur scène.

Et cette fois, dit-il, l’expérience sera totale puisque, dans les spectacles de la précédente tournée, on devait s’arrêter là où la série était rendue. « C’est parfait pour les fans, note Ramin Djawadi, de vraiment entendre le spectacle du début à la fin. Vous avez les grands moments, vous appréciez la musique et vous revenez dans le monde de Westeros. Et c’est tellement bien de voir comment le public entre là-dedans, ça crie, c’est très proche d’un concert rock, et on peut voir que les musiciens ont du plaisir à vivre ça. »

Game of Thrones Live Concert Experience, le 6 septembre, au Budweider Stage de Toronto.

L’album Game of Thrones Season 8 est en vente sur iTunes et sortira en CD et en vinyle le 19 juillet.