C’est un Jean Leloup en pleine forme qui s’est présenté devant un petit groupe de journalistes et de photographes hier en début d’après-midi dans une salle du centre d’art contemporain L’Arsenal. Le but de la rencontre : écouter et analyser L’étrange pays, son nouvel album complètement acoustique qui sortira vendredi.

Dès le début de la séance, le chanteur ne tient pas en place. De bonne humeur et fébrile, il demande qu’on recommence l’écoute de la première chanson, Le sentier, parce que le son est trop bas.

« Plus fort, plus fort », lance-t-il plusieurs fois. Il circule d’un bord à l’autre de la pièce en écoutant ses chansons. Puis, dès la fin de la deuxième, la pièce titre L’étrange pays, il ne résiste plus et fait ses propres harmonies par-dessus.

Premier arrêt à la fin de la cinquième chanson, Le temps, qui se termine sur cette phrase : « Ne pas réveiller les morts est tout l’art du temps qui dort », que le chanteur a mimée avec entrain. « Je sens que c’est le temps qu’on parle un peu. Ça ne vous dérange pas quand je fais les back vocals ? »

L’ambiance est bon enfant et Jean Leloup répond volontiers aux questions, à la fois sérieux et désinvolte, prenant le temps de réfléchir avant de parler, mais toujours sans filtre. Il parle de ce disque dépouillé. De sa mise à nu qui n’en est pas une — « C’est comme d’habitude si tu enlèves l’enrobage ». De son désir de faire entendre ses chansons telles que composées, sans artifices, « dans ta face », et d’aller au bout de cette démarche.

« J’ai toujours mieux aimé mes affaires comme ça : guitare, voix. Je l’ai fait sur chaque album d’ailleurs. C’est plaisant d’habiller des chansons, mais j’avais envie de voir qui je suis pour vrai. Ça m’étouffe, les trucs trop produits. Ça finit par être fatigant, le crémage. »

Jaser avec la mort

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Inspirées par les paroles des chansons, les questions existentielles viennent ensuite. Est-ce que le temps qui passe l’angoisse ? « Non. Je ne ressens pas machin que les gens ressentent avec ça, je ne trouve pas que le temps passe plus vite. » 

« Ce n’est pas bien grave de vieillir. Moi, je sais depuis que j’ai 4 ans qu’on vieillit et qu’on meurt. »

Lui qui vient d’avoir 58 ans n’a pas l’impression d’avoir changé. « Je ne suis pas fatigué fuck all. » À part peut-être que s’il fume toujours la cigarette, il ne peut plus courir sur le mont Royal comme lorsqu’il avait 25 ans. « Fumez-vous, vous autres ? », lance-t-il. Personne ne lève la main. « Quoi, vous avez peur de mourir ? »

La mort traverse en fait tout ce disque aux accents crépusculaires — les chansons ont toutes été enregistrées dehors, la nuit, au Costa Rica et au Québec.

« Je jase souvent avec la mort. Tous mes disques en parlent. Je n’y pense pas plus qu’avant. » Et que lui dit-il à la mort, quand il lui parle ?

« Attends un peu, pas tout de suite. J’ai envie de triper et j’ai encore plein de choses à faire. Des voyages, des belles choses à voir. »

Images

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Quand l’écoute reprend pour la suite de l’album, l’ambiance est davantage au recueillement. Les images écrites par Leloup défilent, « l’enfant fou » qu’il observait sur la place lorsqu’il était au Costa Rica, la beauté de sa mère dans son jardin dans une bouleversante chanson sur la mort de son père, la quête d’un flocon de neige disparu, un oiseau affolé qui frappe une vitre. Et même un morceau sans paroles, infiniment émouvant, intitulé Nouvelle alerte.

« Ouain, c’est triste, hein ? admet Leloup. Je ne savais pas si je devais la mettre. J’attendais vraiment des nouvelles de quelque chose, je jouais de la guitare et ça a donné ça. »

L’atmosphère a ainsi été moins à la rigolade pendant le reste de l’après-midi. « C’est une drôle de job, chanteur », dira quelques fois Jean Leloup. Ce projet aura donné en tout cas une liberté dont il avait besoin au chanteur, qui a écrit ses chansons au fil de ses déplacements sur une période de trois ans.

« C’est dehors que je suis heureux. Pour survivre, je ne peux pas être à l’intérieur trop longtemps. Même jouer de la guitare, j’aime mieux faire ça dehors. »

« Au début, je voulais faire un album acoustique avec des vieilles chansons. Mais plus ça allait, plus j’en composais de nouvelles, et je trouvais ça de plus en plus l’fun. » C’est ainsi qu’est né ce disque de chansons originales un peu inattendu. S’il y a des premières versions qui s’y sont retrouvées telles quelles, d’autres ont été choisies parmi 200 interprétations différentes !

C’est là qu’il a eu besoin d’un regard extérieur pour l’aider à choisir, raconte-t-il. « En général, on est plate. Il faut le dire. On a juste un petit pourcentage de pas pires. »

Projets

IMAGE FOURNIE PAR GROSSE BOÎTE

L’étrange pays, de Jean Leloup

Jean Leloup n’a pour l’instant pas de projets en vue. Il a l’intention d’écrire des contes. Le désir de retourner en voyage et d’écrire encore des chansons — il vient tout juste d’en finir une nouvelle.

Et des spectacles ? On verra, mais on risque de ne pas le revoir sur scène avant un bon bout de temps — il cherche manifestement la bonne formule, mais 2020 semble même trop tôt quand on lui pose la question.

Ce qui est certain, c’est qu’autant Jean Leloup trouve le monde « sérieux », autant il a envie de continuer à y mettre de la fantaisie. « C’est l’fun, finalement, faire des chansons », dit l’auteur-compositeur-interprète qui est incapable d’expliquer comment elles naissent.

« C’est un peu anarchique. Mais ça fait tellement longtemps, ça fait partie de moi. C’est comme quand je me promène avec une guitare : je suis tellement habitué que je ne m’accroche jamais nulle part. Je ne les poque jamais », dit le musicien qui a commencé à jouer de son instrument à l’âge de 9 ans.

« Ça fait 49 ans…, calcule-t-il tout à coup. Putain, ça commence à être sérieux ! »

Chanson. L’étrange pays. Jean Leloup. Grosse Boîte. Offert à partir de vendredi.