Woodstock, l’événement culturel et social, le « petit miracle », comme le disait hier dans La Presse l’essayiste Michka Assayas, ne sera pas commémoré cette année. Est-ce le signe que son mythe est en train de s’effriter ?

« Le mot s’était passé qu’il allait y avoir quelque chose de gros », se rappelle André Ménard, cofondateur du Festival international de jazz de Montréal, qui avait 15 ans à l’été 1969. Gros ? Ce fut gigantesque. Et des décennies durant, Woodstock a été une référence, l’emblème d’une génération. Tout amateur de musique devait presque regretter d’avoir manqué ça. Même s’il n’était pas né en 1969.

Mais voilà : Woodstock 50 n’aura pas lieu. L’immense valeur symbolique de l’événement n’aura pas suffi à sauver sa commémoration. Serait-ce que le monde et les temps changent, comme le chantait Dylan ? Serait-ce la fin d’un mythe et de la domination culturelle des baby-boomers ?

« La conclusion numéro un, au-delà de tout le reste, c’est que cet événement a été mal travaillé à partir du début », tranche Louis Bellavance, directeur de la programmation du Festival d’été de Québec. Modèle d’affaires déficient, site ridicule, ambition démesurée : à ses yeux, tout cela frisait l’amateurisme.

Tout le monde un peu proche de la business pouvait voir dès le premier jour que c’était un fiasco en devenir.

Louis Bellavance, du Festival d’été de Québec

André Ménard croit lui aussi que les problèmes de logistique ont pesé lourd dans cet échec. Tout comme la faiblesse du programme. « On ne peut pas dire qu’ils annonçaient la deuxième venue de Jésus-Christ sur terre… Ce n’était pas si excitant que ça. » De l’avis des deux directeurs de festivals québécois, l’affiche n’était ni plus ni moins alléchante que celle des festivals concurrents.

« Il n’y avait pas de facteur wow », juge Louis Bellavance.

Rien qui puisse attirer les nostalgiques de 1969 et de 1994 – le 25e anniversaire de Woodstock ayant donné lieu à un événement réussi. « Ce n’est pas Miley Cyrus et Imagine Dragons qui vont faire le pont avec les boomers ni donner l’impression que c’est l’événement d’une vie », dit-il, ajoutant que d’accumuler des artistes « presque wow » ne suffit pas. « Trois Miley Cyrus ne font pas une Beyoncé. »

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Louis Bellavance, directeur de la programmation
du Festival d’été de Québec

Un changement culturel ?

Les années 60 sont loin derrière. Les baby-boomers ont commencé à prendre leur retraite. La culture rap a largement remplacé le rock partout sur la planète comme forme de contre-culture et de musique populaire. L’effondrement de Woodstock 50 montre-t-il aussi ce changement ?

« Les jeunes qui ont 16, 17 ou 18 ans ignorent, je pense, ce qu’est Woodstock, dit Jean Beauchesne, qui fut longtemps responsable de la programmation du Festival d’été de Québec. Ça ne les intéresse pas, sauf ceux qui vont à Woodstock en Beauce… Ils sont ailleurs : même Nirvana ou Wu-Tang Clan, ça ne leur dit pas grand-chose. »

Ce manque de perspective historique affaiblit inévitablement la « marque » Woodstock. Après, il y a bien sûr les effets de mode. « Les formats musicaux à la mode chez les moins de 25 ans n’ont plus rien à voir avec la source des genres musicaux qui ont fait la pluie et le beau temps après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à maintenant », ajoute-t-il, tout en soulignant lui aussi les faiblesses logistiques et financières fondamentales de Woodstock 50.

La marque Woodstock veut dire quoi pour les tripeux de Coachella ? Ce branding-là n’a plus le même attrait qu’en 1994.

Louis Bellavance

Le directeur de la programmation croit toutefois qu’il faut se garder de tirer de trop grandes conclusions d’un événement aussi « absurde » que Woodstock 50.

Un autre élément l’incite à la prudence : il y a trois ans, le festival Desert Trip a connu un succès immense en programmant Bob Dylan, les Rolling Stones, Paul McCartney, Neil Young, The Who et Roger Waters à Indio, en Californie. 

« Ça, c’était le Woodstock 50, dit le directeur de la programmation du FEQ. Ç’a été couru de partout dans le monde. C’est un événement dont les gens – ceux qui y étaient et ceux qui l’ont raté – parlent encore. Si Desert Trip avait échoué, là, on aurait parlé d’un choc culturel. »

André Ménard ajoute qu’au fond, refaire encore un Woodstock n’était peut-être pas l’idée du siècle. « Essayer de refaire le truc, c’est se condamner à être comparé à un mythe. Pourquoi les Beatles ne se sont jamais réunis ? Ils ne voulaient pas être comparés à leur mythe. C’est aussi ce que Robert Plant a déjà dit en conférence de presse au Festival de jazz : faire compétition à sa propre jeunesse ne sert à rien. »