Ramener le défunt guitariste blues Jeff Healey en hologramme pourrait être un sacrilège pour plusieurs de ses admirateurs, mais l'un des anciens membres de son groupe demeure intrigué face à cette nouvelle technologie.

Tom Stephen, un ancien batteur et gérant du Jeff Healey Band, avait des sentiments partagés lorsqu'une entreprise de divertissement australienne lui a proposé de diffuser un hologramme de son ancien comparse dans un spectacle de blues.

Le concert voulait célébrer les vedettes de ce genre musical, avec d'autres hologrammes dont possiblement celui de B. B. King.

L'entreprise proposait aux autres membres du groupe canadien de jouer aux côtés de l'hologramme de leur musicien vedette, qui est mort d'un cancer à l'âge de 41 ans.

Cela permettrait au public d'apprécier les performances très originales de Healey, qui plaçait parfois sa guitare électrique sur ses genoux, pour qu'ils jouent.

Mais Tom Stephen est demeuré réticent, il avait l'impression de se faire « exploiter ».

« Est-ce que tu vas vraiment voir cette expérience musicale que tu as ratée ? », se demande-t-il.

Il s'est imaginé jouer les grands succès du groupe, comme Angel Eyes, et a conclu qu'il manquerait la camaraderie entre les musiciens.

« Comment ce serait d'interagir chaque soir avec un hologramme d'un membre d'un groupe avec qui tu as passé 18 ans ?, s'est-il dit. Personnellement, je trouverais cela très difficile. »

Stephen a décliné l'offre de l'entreprise, mais il n'a pas pour autant exclu la possibilité de concevoir un hologramme du défunt musicien.

De plus en plus de spectacles

Dans les prochaines années, les musiciens et les spectateurs feront face à la présence grandissante des spectacles en hologrammes.

L'expérience est déjà présentée dans certaines salles de spectacle nord-américaines, où l'image virtuelle du crooner décédé, Roy Orbison, avait reçu des critiques mitigées il y a quelques mois. La chanteuse d'opéra Maria Callas a également été ressuscitée lors d'une performance qui, selon certains critiques, ressemblait davantage à un fantôme flottant qu'à une entité physique.

Glenn Gould s'est ajouté au circuit des hologrammes en 2019. Le défunt pianiste canadien sera accompagné d'orchestres en direct dans le cadre d'une tournée organisée avec son domaine.

À peu près au même moment, l'hologramme d'Amy Winehouse sera en tournée avec un groupe, tandis que les grandes vedettes de la pop suédoise ABBA organiseront une réunion numérique.

Ces spectacles ne sont pas de véritables hologrammes au sens technique du terme, mais plutôt des images tridimensionnelles projetées à l'aide de miroirs sur un écran transparent, un peu comme un film.

Et la plupart des performances ne sont pas simplement une illusion sur la scène, elles font également partie d'une production en studio élaborée dans laquelle les visages des interprètes décédés sont transposés sur le corps d'acteurs vivants. Dans le cas de Roy Orbison, un autre musicien a imité sa performance avant que le célèbre visage du chanteur ne soit collé numériquement sur le corps du remplaçant.

Des expériences pas toujours concluantes

Il demeure difficile de convaincre le public en alliant toutes ces couches artificielles, suggère Kiran Bhumber, la cocréatrice de Telepresence, une expérience de réalité virtuelle au centre des arts Western Front de Vancouver, où l'on peut voir un joueur de trompette en enfilant un casque de réalité virtuelle.

« (Le défi est) comment créer une expérience intéressante qui plaît au public, a-t-elle indiqué. Parce qu'il y a un risque que cela devienne un gadget. »

L'été dernier, à la place Yonge-Dundas de Toronto, les risques d'une performance virtuelle ont été exposés au grand jour. Des passants curieux étaient réunis devant un spectacle, qui présentait les hologrammes d'un jeune Michael Jackson, de Frank Sinatra, de Billie Holiday et des membres de Black Eyed Peas.

La plupart des personnes regardaient le spectacle comme si c'était un écran de télévision. Mais les quelques applaudissements suggéraient que l'impression était mitigée, même si des animateurs étaient sur place pour motiver la foule.

Des artistes intéressés

Tandis que le public se demande comment réagir aux hologrammes, certains artistes sont fascinés par le potentiel de la technologie en évolution.

La chanteuse du groupe Walk Off the Earth Sarah Blackwood était intriguée lorsqu'elle a vu une projection de Feist, qui brillait dans trois villes canadiennes dans le cadre du lancement d'un téléphone intelligent. Le spectacle l'a inspirée à songer aux avantages d'une telle technologie.

« En tant qu'artiste, l'une des choses dont nous parlons toujours est la façon dont nous allons laisser notre héritage », a-t-elle expliqué.

« Je ne veux pas disparaître dans la pile de musiciens dont on ne se souvient plus. Alors, avoir la possibilité de revenir et de partager de la musique avec des gens et de perdurer comme cela, je pense que c'est un concept très intéressant. »

Serena Ryder croit que les hologrammes sont peut-être pertinents pour les artistes vivants comme elle qui n'apprécient pas de longues tournées.

La chanteuse pop-rock se considère comme une interprète « solitaire », alors remplacer l'un de ses spectacles par une projection d'elle même lui semble intéressant.

Mais Mme Ryder n'est pas convaincue que son hologramme recréerait la magie d'une performance en direct.

« Il n'y a rien qui peut remplacer la présence physique humaine - le sentiment de vraies émotions humaines », a-t-elle confié.

Tom Stephen admet qu'il est captivé par les possibilités technologiques, même s'il n'était pas chaud à l'idée de participer à un spectacle avec un hologramme.

Il y a quelques spectacles en hologrammes qu'il rêverait de voir. L'un d'eux serait d'assister à un spectacle des Beatles dans leur ville natale de Liverpool.

« Je crois que je serais époustouflé et que ce serait une expérience vraiment intéressante », a-t-il affirmé.

Stephen reconnaît toutefois qu'il n'aura peut-être pas toujours la possibilité de contrôler la production d'hologrammes du groupe.

« Je soupçonne qu'à l'avenir, cela deviendra plus commun, que ce soit bon ou mauvais. Je ne sais pas si on peut empêcher cela », a-t-il conclu.