Paris vaut bien une messe... surtout si c'est pour Johnny Hallyday. Une fois par mois depuis sa mort, l'église de la Madeleine rend hommage au rockeur disparu, devant un parterre de fans dévoués, qui n'ont pas d'autre endroit pour se recueillir. Il est grand, le mystère de la foi...

Un prêtre en sandales monte sur l'autel, guitare acoustique autour du cou. Devant lui, près de 1000 fidèles l'écoutent chanter Je te promets, un grand succès de Johnny Hallyday. Certains font le signe de croix. D'autres joignent les mains. Plusieurs suivent le texte sur le feuillet jaune distribué avant la cérémonie.

« Ils ont changé les paroles, mais c'est bien sa chanson », murmure Yves Hochart, fan fini de Johnny, fièrement vêtu d'un t-shirt de la tournée 2006.

À la fin du morceau, scène surréaliste : le public applaudit. Du rarement vu dans ce cadre plutôt formel. Des touristes de passage regardent le tout d'un air interloqué, en se demandant s'ils ne se sont pas trompés d'endroit.

Ce n'est plus une idole. C'est une religion. Tous les 9 du mois, depuis sa mort en décembre dernier, Johnny Hallyday fait l'objet d'une « messe souvenir » à la Madeleine, l'une des plus grandes - et des plus belles - églises de Paris. Deux prêtres, un organiste, un chanteur, des salles qui ne désemplissent pas : l'affaire est jusqu'ici un vrai succès.

« Il y avait 200 personnes en janvier, 500 en février, 600 en mars et près de 2000 en juin, alors qu'en semaine, je n'ai pas plus de 50 personnes ! », souligne le père Bruno Horaist, stupéfait par cette fascinante démonstration d'amour.

C'est lui, ou plutôt son « ange gardien », qui a eu l'idée de cette improbable cérémonie. Une première mondiale, sauf erreur, en ce qui concerne une vedette du rock. Quelques jours après l'enterrement du rockeur, ému par ces fans orphelins, atterrés et déboussolés, il a décidé de leur offrir un lieu de communion et un requiem mensuel.

Initiative personnelle, jure-t-il. Ses supérieurs n'ont pas réagi, fermant les yeux avec bienveillance. Et depuis, il se prend au jeu. Sans regret. « Fan de Johnny, je ne dirais pas. Mais je suis frappé par la force d'amour qu'il dégageait, par les coeurs qu'il touchait, par la ferveur qu'il provoque », confie le prêtre, quelques minutes avant l'office.

Tombe inaccessible

Ferveur, en effet. Pendant la messe, ces ouailles un peu particulières ne parviennent pas à dissimuler leur émotion, malgré les cuirs, les t-shirts noirs, les tatouages et les bagues de motard que portent certains. Malgré les vendeurs du temple, qui en profitent pour vendre des badges ou des crucifix à l'image de Johnny, que plusieurs s'arrachent sans réaliser l'absurdité du moment.

Il y a pourtant bien huit mois que Johnny est parti, emporté par le cancer. Mais pour plusieurs, sa mort n'a pas encore été digérée. D'autant moins digérée que le chanteur a été enterré à 6700 km de là, dans l'île de Saint-Barthélemy, dans les Antilles. Un lieu inaccessible pour tous ces fans issus de la classe populaire, qui n'ont pas les moyens de s'offrir le voyage. Faute de mieux, ils se rabattent sur ces messes parisiennes, même si nombre d'entre eux avaient depuis longtemps cessé de fréquenter l'église.

« On vient ici parce qu'on ne peut pas se recueillir sur sa tombe. Ça nous fait un lieu de rassemblement. »

- Nicole Monceau, spectatrice

Certains sont arrivés trois heures avant la messe, pour être bien sûrs d'avoir une place. D'autres en sont à leur troisième, à leur sixième visite. « Chaque fois, je me dis que c'est la dernière fois, mais je n'arrive pas à lâcher », résume Serge Groslambert, fan « de la première heure », qui n'a pas manqué une seule cérémonie.

Il est grand, direz-vous, le mystère de la foi. Mais en voyant Alain Lefebvre, cheveux longs, gants de cuir, tatoué jusqu'aux os, arriver en fauteuil roulant, avec sa femme et son petit-fils de 3 ans, on aurait presque envie de croire aux miracles.

Alain, 60 ans. Tellement fan que ses amis l'appellent Johnny... Il y a trois ans, il a perdu l'usage de ses jambes dans un accident de la route. Ça ne l'a pas empêché de venir de Béthune, dans le Pas-de-Calais (nord de la France), pour pleurer son idole disparue. Pour lui, comme pour les autres, la dévotion n'a pas de limites.

« J'attendais que ma femme ne travaille pas pour venir. Seul, j'aurais pas pu », lance le rockeur, la gorge nouée, quelques minutes avant la cérémonie.

Deuil impossible

En une heure, l'affaire est pliée. Chants, psaumes, lectures, prières et autres alléluias se succèdent sous la direction du père Horaist. Puis les fidèles défilent pour communier, tandis que le prêtre en sandales - appelons-le Jean-Yves Jaffré - égrène les notes de Retiens la nuit, un autre tube du chanteur. Applaudissements, avant que tous ne chantent en choeur « Que je t'aime, Que je t'aiiime, que je t'aiiiiime », l'ultime classique de Johnny, avant les derniers applaudissements. Sans rappel, Dieu merci...

La messe est dite, l'église se vide. Alain, l'oeil rougi, nous retrouve sur le parvis. Sa peine est grande. Mais comme beaucoup de disciples de saint Johnny, il sent que cette cérémonie l'a libéré d'un poids.

« Je sais qu'il est parti. Que je ne le reverrai jamais. Ça fait encore plus mal. Les prochains mois seront très durs. Mais je sais maintenant que Johnny est au paradis, à droite du Seigneur. »

Il ne lui reste plus, dit-il, qu'à acheter des billets pour Saint-Barthélémy. Un projet à plus ou moins long terme. L'an prochain, si les finances le permettent, Alain se transformera en pèlerin et ira se recueillir sur la tombe de son idole, avec sa femme et son fauteuil roulant.

« Ce jour-là, dit-il, j'aurai fini mon deuil... »

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE Laurence, COLLABORATION SPECIALE - TEXTE sur Johnny Halliday Yves Hochart, fan et sosie de Johnny, exhibe son oeuvre d'art. "Ça me prend deux heures à faire. Je les vends 20 euros."

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE Laurence, COLLABORATION SPECIALE - TEXTE sur Johnny Halliday

Héritage de Johnny : où en est le feuilleton ?

Prier pour lui, d'accord. Mais ne comptez pas sur eux pour se prononcer sur le feuilleton judiciaire qui entoure sa succession.

À l'unisson, les fans de Johnny rencontrés à la Madeleine affirment que cette mauvaise comédie familiale ne les concerne pas. « C'est le dernier de mes soucis, Johnny fait ce qu'il veut », résume Yves Hochart, fan invétéré, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son idole. « Pas intéressé », ajoute Michel Denis, 80 ans, l'air de 65.

Le problème ? Les deux aînés de Johnny, David Hallyday et Laura Smet, contestent le testament américain de leur père, qui lègue l'ensemble de son patrimoine à sa dernière femme Laeticia et à leurs deux filles mineures, Jade et Joy.

S'estimant déshérités, David et Laura réclament une révision du testament et une part de la succession, estimée à plusieurs dizaines de millions d'euros. Depuis février, les deux clans se déchirent par tribunaux et médias interposés, un véritable feuilleton qui passionne les Français. Cerise sur le gâteau, David et Laura demandent un droit de regard sur l'album posthume du chanteur, dont la sortie est prévue début novembre.

Résultat : les biens immobiliers et les droits artistiques du chanteur ont été gelés, au plus tôt jusqu'au 22 novembre, alors qu'une nouvelle audience est prévue au tribunal de Nanterre. Histoire à suivre.

Loin de cette guerre de tranchées, notons que la galerie Joseph présente à Paris, jusqu'au 13 janvier (avec pause entre le 27 septembre et le 9 octobre), une exposition de photos et d'artefacts ayant appartenu au chanteur.

Les messes, elles, se poursuivront jusqu'au 9 décembre, premier anniversaire de la mort de Johnny, et seront peut-être prolongées en 2019. « Ce n'est pas exclu, conclut le père Horaist. Je n'ai pas encore consulté mon ange gardien... »

PHOTO BERTRAND GUAY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Laura Smet et David Hallyday, les deux aînés de Johnny