Voici la liste des 10 albums classiques et jazz que notre journaliste a préférés en 2017.

1 The John Adams Edition

BERLINER PHILHARMONIKER 

Berliner Philharmoniker Recordings - 4 CD et 2 DVD

Le meilleur survol de l'univers post-minimaliste imaginé par le grand compositeur américain John Adams a été mis en oeuvre cette année par le Berliner Philharmoniker. Répartis sur quatre CD, les oeuvres Harmonielehre (1984-1985) et Scheherazade. 2 (2014-2015) sont dirigées par le compositeur lui-même, City Noir (2009) par Gustavo Dudamel, Lollapalooza (1995) et Short Ride in a Fast Machine (1986) par Alan Gilbert, The Wound-Dresser (1988-1989) par Kirill Petrenko, l'opéra The Gospel According to the Other Mary (2011-2012) par Sir Simon Rattle. Deux DVD offrent des exécutions de ces oeuvres en concert ainsi que des interviews de fond réalisées avec le compositeur. Voilà un document essentiel pour quiconque souhaite une immersion parfaite chez John Adams.

2 Far from Over

VIJAY IYER SEXTET 

ECM

Vijay Iyer, piano, Fender Rhodes ; Graham Haynes, cornet, bugle, électronique ; Steve Lehman, saxophone alto ; Mark Shim, saxophone ténor ; Stephan Crump, contrebasse ; Tyshawn Sorey, batterie : voilà l'autoroute à six voies ! Vijay Iyer cherche d'abord à atteindre ses objectifs compositionnels, qu'étoffent les improvisations individuelles et collectives ici suggérées. On y débusque encore de nouveaux angles d'attaque, notamment les pièces Nope et End of the Tunnel, où il fait usage du Fender Rhodes et construit sur des grooves auxquels il ne nous a pas habitués. Et ce n'est qu'une des directions empruntées par cet ensemble excellent, archicompétent, capable de tout embrasser (et embraser !). On y parcourt cinq décennies de jazz contemporain à la manière d'un Vijay Iyer toujours aussi brillant et plus dégagé que jamais de toutes influences directes.

3 Complete Works for Ensemble and Choir

GYÖRGY KURTÁG 

ECM - 3CD

Dernier des Mohicans de la musique contemporaine de l'après-guerre - on pense à Boulez, Ligeti, Stockhausen, Berio, Nono, Pousseur ou Kagel -, le Hongrois György Kurtág a atteint l'âge vénérable de 91 ans. Plusieurs ensembles honorent son legs, on pense notamment au superbe album du Quatuor Molinari chez Atma, sorti en 2016. Composés entre 1959 et 2011, des joyaux de son oeuvre sont mis en lumière dans cette excellente production. On en doit les exécutions à l'ensemble Asko sous la direction de Reinbert de Leeuw, ainsi qu'au Netherlands Radio Choir. L'écoute attentive de ces musiques instrumentales et vocales permet de constater que l'artiste est un véritable prisme de la musique contemporaine d'Europe, à travers laquelle il impose une personnalité implacable, farouche, paradoxalement raffinée et... presque sauvage.

4 Under the Influence Suite

ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ DE MONTRÉAL 

Justin Time

Commandée par l'Orchestre national de jazz de Montréal en 2015, cette suite pour grand orchestre de jazz révèle la chanteuse et parolière Sienna Dahlen, dont on a déjà fait l'éloge pour ses projets solos. Les interprétations et improvisations de la chanteuse canadienne (établie au Québec) font corps avec cet orchestre mature dont la chef d'orchestre exploite de nouveaux accents (notamment la guitare), en élargit la palette harmonique et les concepts rythmiques, lui accorde certaines libertés atonales. Conçue en cinq mouvements, cette oeuvre évoque indirectement le legs de Kenny Wheeler, Jan Jarczyk, John Coltrane, Lee Konitz et Wayne Shorter. Bien qu'elle soit « sous influence » de ses maîtres, l'écriture de Christine Jensen s'en affranchit davantage en proposant un langage qui lui est propre, sans rompre pour autant avec l'esthétique du big band contemporain.

5 Hindemith ; Schoenberg : String Trios

TRIO ZIMMERMANN

BIS

Les plus éminents spécialistes de la musique contemporaine s'entendent pour qualifier de chef-d'oeuvre le Trio à cordes op. 45 d'Arnold Schoenberg, pièce en cinq parties composée en 1946. Sept décennies de mélomanie plus tard, un public beaucoup plus vaste peut absorber cette oeuvre fantastique pour violon, alto et violoncelle, dont le coefficient de difficulté est parmi les plus élevés de l'entier répertoire de la musique de chambre. Le trio Zimmermann (Frank Peter Zimmermann, violon ; Antoine Tamestit, alto ; Christian Poltera, violoncelle) a choisi de lier l'enregistrement de cette pièce aux deux Trios à cordes de Paul Hindemith, composés respectivement en 1924 et en 1933. Situées entre post-romantisme et musique contemporaine, ces oeuvres dressent la table pour le plat de résistance. En somme, tout un festin.

6 Daylight Ghosts

CRAIG TABORN 

ECM

Pianiste au jeu extrêmement personnel, accompagnateur attentif, technicien redoutable malgré une éducation atypique, improvisateur d'exception en solo comme en formation, le musicien américain propose un troisième album chez ECM, cette fois en quatuor et réunissant le saxophoniste Chris Speed, le contrebassiste Chris Lightcap et le batteur Dave King (The Bad Plus). Daylight Ghosts révèle une synthèse inspirée du jazz contemporain (et, souvent, de la musique contemporaine tout court) ; on en transcende les avancées formelles depuis les années 70, on s'inscrit dans une continuité sans ruptures apparentes. Sauf quelques légers compléments électroniques, le leader et compositeur mise sur une instrumentation acoustique, suggère une diversité d'ambiances et de propositions typiques de l'esthétique dont il est issu. Certaines recèlent de brillantes particularités polyrythmiques et contrapuntiques ; d'autres sont des structures plus méditatives, spectrales, aléatoires, ouvertes au dialogue et à l'improvisation libre.

7 Alma oppressa, Vivaldi-Handel : Arias

JULIE BOULIANNE

Analekta

La mezzo-soprano Julie Boulianne a brillé cette année avec l'enregistrement de ce magnifique Alma oppressa, qui rassemble 16 arias d'Antonio Vivaldi et de Georg Friedrich Haendel. Avec l'ensemble Clavecin en concert sous la direction de Luc Beauséjour, la chanteuse québécoise atteint des sommets de grâce et de volupté et investit tout le spectre des émotions par la diversité de ces airs entonnés dans l'esthétique baroque et qui incarnent les personnages des opéras composés par ces deux incontournables de cette époque. À n'en point douter, la pleine maîtrise de ces interprétations impose le plus grand respect et marque la discographie classique québécoise.

8 Rich in Symbols

CHET DOXAS

Ropadope

Transplanté à Brooklyn depuis quelques années, le saxophoniste (et plus encore) Chet Doxas signe l'album le plus important de sa carrière en tant que leader. Rich in Symbols s'inscrit dans une lignée de jazz-indie-rock-électro, approche assez peu connue du public, néanmoins florissante depuis quelques années - on pense d'abord à Beyond Now, récent opus du saxophoniste Donny McCaslin. Ces compositions originales s'inspirent chacune de tableaux, graffitis et photos de légendaires artistes contemporains du Lower East Side new-yorkais, actifs entre 1975 et 1985 : Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Fab 5 Freddy, Robert Mapplethorpe. Rich in Symbols réunit d'excellents musiciens : le guitariste Matthew Stevens, le batteur Eric Doob, le bassiste Zack Lober et autres invités - le claviériste John Escreet, le guitariste Dave Nugent, le trompettiste Dave Douglas. D'esprit indie rock et électro, donc en phase avec la période actuelle, la réalisation est signée Liam O'Neil (Broken Social Scene, Metric, etc.).

9 Schubert/Szymanowski

LUCAS DEBARGUE 

Sony Classical

Créature fascinante par son parcours atypique et sa vision singulière du jeu pianistique, Lucas Debargue a jeté un éclairage singulier sur deux mondes fort différents et qui peuvent somme toute être liés : Sonate no 14 en la mineur D784 et Sonate no 13 en la majeur D664 de Franz Schubert (1797-1828), Sonate no 2 en la majeur op. 21 de Karol Maciej Szymanowski (1882-1937). À peu près un siècle sépare la composition des oeuvres choisies par le jeune homme de 27 ans. Nous sommes ici dans la compréhension profonde et la relecture brillante : le sursaut et l'angoisse de la maladie du compositeur autrichien dans la sonate no 14, un peu plus de sérénité dans la 13, mais toujours ces tourments qui peuvent émerger. Chez le compositeur polonais, on parle plutôt d'une série de jaillissements dramatiques, d'une inclination à la promptitude et d'un goût pour une complexité inscrite dans le classicisme.

10 Dreams and Daggers

CÉCILE MCLORIN SALVANT

Justin Time

Amour, haine, joie, colère, bonheur, chagrin, idéal de romance, déception... voilà les incontournables dualités de nos vies affectives, et voilà ce qu'exploite artistiquement la chanteuse Cécile McLorin Salvant dans le contexte de cet album double enregistré au Village Vanguard ainsi qu'au studio du DiMenna Center de New York. Depuis ses débuts en 2010, cette formidable chanteuse aux racines françaises, américaines et antillaises choisit un style ancré dans la tradition du chant jazz, à travers lequel elle impose son phrasé, ses formidables jeux d'intensité vocale, sa dégaine en quelque sorte. Idem pour son trio constitué du pianiste Aaron Diehl, du bassiste Paul Sikivie et du batteur Lawrence Leathers, auxquels se joignent des sections de cordes à l'occasion - le Catalyst Quartet, sans compter la contribution du pianiste Sullivan Fortner sur une reprise de Bessie Smith, You've Got to Give Me Some.