Le rock n'est pas fort, mais il n'est pas mort. Alors que le rap et le hip-hop dominent les palmarès des radios commerciales, de ventes d'albums et d'écoute en ligne, les amateurs de six cordes semblent traverser une crise existentielle. Discussion avec trois groupes rock québécois qui proposent (ou proposeront bientôt) un nouvel album.

Le Trouble: influence rock

Plus récent album: Making Matters Worse (sorti mardi)

Label: Indica

Style: Pop-rock, indie rock

Même s'il navigue dans les eaux de l'indie rock, le quintette Le Trouble n'est pas du genre à s'ancrer aux clichés du genre. À preuve: les deux représentants du groupe nous donnent rendez-vous... dans un douillet salon de thé du Plateau. Le genre d'endroit où la vaisselle est fragile et la conversation, chuchotée. «Je devrais peut-être renverser la table de scones à la fin de l'entrevue pour faire plus rock?», plaisante le chanteur Michael Mooney.

Notre discussion sur la pertinence du rock en 2017 s'engage donc à voix basse au-dessus des théières fumantes. Le genre a-t-il dit tout ce qu'il avait à dire? La question ne semble pas préoccuper outre mesure Maxime Veilleux, guitariste. «On n'essaie pas de réinventer quoi que ce soit, ou de trouver un nouveau son à tout prix, explique-t-il. On ne se restreint pas à un style.»

Il note du même souffle que l'empreinte du rock se découvre un peu partout. «Son influence sur la musique d'aujourd'hui est indéniable, juge-t-il. Le rock n'est plus la musique de la jeunesse, c'est vrai. Mais on l'entend dans la musique de Kendrick Lamar et de Kanye West. On le sent dans leur attitude.»

Son collègue et ami Michael Mooney va plus loin: pour lui, l'esprit du rock plane sur le monde occidental au sens large. Il cite la mode vestimentaire. «Regarde juste la façon dont les gens s'habillent aujourd'hui... C'est très rock! Tout le monde porte des jeans, même les comptables!»

Se faire plaisir

Ne pas trop se prendre au sérieux. Avoir du plaisir. «Jammer» entre amis. Les gars du Trouble égrènent les valeurs qui ont mené le groupe vers les riffs doux et les mélodies accrocheuses au coeur de son identité.

«On a toujours eu cette idée d'avoir un son pop, mais sans compromettre l'attitude rock, justement. On se fait plaisir à nous-mêmes en premier», explique Michael Mooney.

Ce ne sont pas que des paroles en l'air. Insatisfait d'une première version de son nouveau disque (Making Matters Worse, dont le lancement est prévu le 9 février au Petit Campus), Le Trouble a pris quelques semaines pour retravailler des chansons et en écrire de nouvelles. «Ça ne sonnait pas comme on voulait, explique Maxime Veilleux. En fin de compte, on a voulu prendre notre temps. Ça peut être difficile de garder les choses simples!»

De toute façon, c'est sur scène que les gars du Trouble prennent leur pied. Ils sillonneront d'ailleurs les routes du Québec, et possiblement de l'Europe, au cours des prochains mois. «Voyager et donner des spectacles, c'est notre récompense, affirme le guitariste. C'est là où on aime être. Le show peut être incroyable ou difficile... mais il n'est jamais ennuyeux.»

Les théières sont vides, la conversation se termine. Michael Mooney fixe la table de scones un instant... et se sert un petit gâteau.

Heat: abattre les murs

Plus récent album: Overnight (sorti le 20 janvier)

Label canadien: The Hand Recordings

Style: Post-punk

Est-ce que le genre musical né en même temps que les baby-boomers est vraiment mort? On a posé la question aux gars de Heat, un quatuor montréalais qui suscite de grandes attentes depuis la parution de son premier maxi en 2014.

«Ça fait longtemps que le rock est mort», laisse tomber le guitariste Matthew Fiorentino, avant de préciser sa pensée. «[Le rock], c'est une étiquette qu'on utilise dans les communiqués de presse, pour présenter notre musique, dit-il. Mais quand vient le temps de créer, personnellement, je n'ai jamais pensé au fait que je joue du rock. Ce n'est pas un facteur de création intéressant pour nous.»

«Si on s'enferme dans un carcan, on ne fera pas de la musique honnête.»

Assis à ses côtés, ses trois collègues acquiescent.

«En matière de popularité, la musique fonctionne par vagues, analyse Susil Sharma, chanteur et guitariste du groupe. Le rock n'a pas cessé d'exister depuis 10 ans, même s'il est moins populaire. Il y a simplement plus de variété dans le monde de la musique.»

Susil Sharma estime que le rock doit s'ouvrir aux autres genres. Il appelle le hip-hop à la barre des témoins. «Prends Kanye West: il a fait de l'échantillonnage de King Crimson [sur la chanson Power]. Or, tu n'entends pas beaucoup de rockeurs piger dans d'autres styles musicaux. Pourtant, ce serait intéressant. J'adore Led Zeppelin, mais je n'ai pas besoin d'en entendre encore et encore.»

«Le rock ne doit pas s'enfermer dans des règles, poursuit-il. Il doit abattre les murs et se laisser influencer. [Dans ses premières années], c'est un genre qui est rapidement devenu une façon de faire de l'argent en vendant des albums aux adolescents. Aujourd'hui, il existe dans la marge de la musique pop, mais il sera toujours là.»

En route

Mort ou pas, le rock fera voyager Heat au cours des prochains mois. Sa musique, qui plaira aux amateurs de Psychedelic Furs, Nick Cave et The Strokes, est accueillie très favorablement en Europe et aux États-Unis. Le quatuor reprendra bientôt la route pour présenter son nouvel album, Overnight, aux publics américain et européen. On le verra notamment à Austin dans le cadre de l'incontournable festival South By Southwest.

Le marché anglophone est d'ailleurs un terrain plus fertile que celui du Québec francophone pour Heat. «On ne pourrait pas jouer sept soirs par semaine ici, remarque le bassiste Raphaël Bussières. Pour nous, au Québec, ça se passe surtout le week-end.»

Photo Ninon Pednault, La Presse

Le groupe Heat, dont la musique est accueillie favorablement en Europe et aux États-Unis, se produira en mars au festival South By Southwest, à Austin, au Texas.

Oktoplut: sans compromis

Prochain album: devrait sortir vers la fin de l'été

Label: Slam Disques

Style: Stoner rock

Le passage des décennies a peut-être abîmé la popularité du rock, mais il a aussi permis l'éclosion de nouveaux canaux de transmission très importants pour les groupes au style plus niché. Pour le duo Oktoplut, qui propose un stoner rock bien gras et sans compromis, les services de diffusion en continu (Spotify, Apple Music) sont une bénédiction.

«Aujourd'hui, c'est facile d'écouter et de découvrir de la musique sur internet, et ce n'est pas une mauvaise chose du tout, tranche le guitariste Mathieu Forcier. Pour un band comme le nôtre, cet accès nous permet d'avoir du monde à nos spectacles. Si on avait juste des CD à proposer, ça ne fonctionnerait pas.»

Les statistiques confirment son impression. En 2016 aux États-Unis, le rock a représenté 20 % de toute la musique écoutée par l'entremise des services de diffusion en continu, selon la firme Statista. C'est moins que le hip-hop et le rap (28 %), mais, quand on se souvient qu'aucun album rock n'a figuré parmi les 10 albums les plus vendus cette année-là, on comprend l'importance de cette technologie pour les genres plus marginaux.

Mais qu'en est-il de l'argument monétaire? La diffusion en continu, c'est connu, n'offre que de maigres redevances aux artistes. Pour Laurence Fréchette, qui s'égosille au micro en plus de tenir les commandes de la batterie au sein d'Oktoplut, c'est une question secondaire.

«Nous, on fait ce qu'on aurait envie d'entendre. On ne pense pas nécessairement à l'argent.»

Son collègue Mathieu Forcier confirme. «Avec [l'EP] La sorcière de roche, on s'est mis câlicement dans le rouge! dévoile-t-il. Pas grave. On l'a fait pareil. C'est un cadeau à nous-mêmes.»

Une industrie plus ouverte

Au-delà des possibilités technologiques, les gars d'Oktoplut croient que notre époque se caractérise par une plus grande ouverture à la musique de niche.

«Le rock est moins populaire que dans les années 90, mais le milieu de la musique, lui, est plus ouvert qu'avant, affirme Laurence Fréchette. Par exemple, quand on a joué aux FrancoFolies l'an dernier, ils nous ont mis sur la scène principale. Il y a quelques années, ça n'aurait eu aucun rapport de nous faire jouer là. Ça montre qu'il y a encore une place pour le rock dans l'industrie.»

Oktoplut (un nom qui, précisons-le, se prononce de la façon la plus vulgaire possible) profite de cette conjoncture somme toute favorable pour créer sans limites. Le duo a d'ailleurs enregistré il y a quelques années une reprise de... François Pérusse, subtilement intitulée La politique c'est d'la marde

«Ça représente bien notre approche, commente Laurence Fréchette, sourire en coin. On peut être un groupe de stoner rock et faire une toune de François Pérusse en même temps. Pourquoi pas?»

Pourquoi pas, en effet.

Photo Alain Roberge, La Presse

Le duo Oktoplut, formé de Laurence Fréchette et de Mathieu Forcier, devrait sortir un nouvel album vers la fin de l'été.