Coup de gueule - Stéphanie Lapointe a fait paraître cette semaine Les amours parallèles, son troisième album - et le premier depuis qu'elle a quitté le giron de Star Académie. Retour sur un parcours très particulier.

Tu as été projetée très jeune sous les feux de la rampe en gagnant Star Académie. Comment se remet-on d'une telle expérience?

Est-ce qu'on s'en remet? (Rires) Ça fait 10 ans. Je n'ai jamais abordé ce sujet-là vraiment. C'est délicat. Il y a des gens qui peuvent être heurtés. Je crois que ce que je n'ai pas réalisé d'emblée, à l'époque, et que je réalise aujourd'hui, c'est que ce genre de concours nous propulse dans un contexte qui n'est pas la réalité d'une vie de musicien. Ça, on ne le comprend pas quand on a 19 ans. Je ne dis pas ça avec les violons, de manière dramatique.

Mais connaître cette extrême popularité a dû être très difficile à gérer...

Je n'ai pas voulu ça. Quand je revois des images de cette soirée où l'on m'annonce que je gagne Star Académie, tout ce que je lis sur mon visage, c'est de la tristesse. Peut-être parce que j'étais lucide. Ce qui est au premier plan dans un contexte comme ça, c'est l'émission de télévision. Ce n'est pas l'artiste ou l'être humain. Je n'attaque pas le concept, mais le sentiment d'être interchangeable est difficile à gérer.

Tu n'y as pas été bien préparée, tu crois?

C'est un peu difficile pour moi d'en parler parce que j'ai vraiment peur de heurter des gens comme Stéphane Laporte, que j'aime beaucoup. Mais c'est sûr qu'après 10 ans, je me fais ma propre idée là-dessus. Il y a des choses que je trouve formidables: c'est une vitrine exceptionnelle pour la culture, chose qui existe de moins en moins à l'écran. Mais ce sont les dommages collatéraux sur les individus qui me rappellent les difficultés liées à ça. En même temps, je ne peux m'empêcher de me demander si je serais où je suis s'il n'y avait pas eu Star Académie dans ma vie.

Tu es perçue depuis le début comme celle qui était en marge de Star Académie...

Quand ce que tu as fait, c'est interpréter à la télé des chansons qui n'étaient pas les tiennes, qui n'étaient pas écrites pour toi, devant des files et des files de gens qui tiennent des pancartes en criant ton nom, c'est une expérience qui est difficile à absorber. Je me souviens de m'être retrouvée aux toilettes des Studios Mel's avec Véronique Claveau, qui est restée une amie, et d'avoir pleuré. Pas parce qu'on n'aimait pas ce qu'on faisait, mais parce que c'était une charge trop grande. Ce n'était pas logique.

Est-ce que tu t'es heurtée au snobisme après ton expérience à Star Académie? Est-ce plus difficile d'asseoir sa crédibilité artistique lorsqu'on est passé par ce genre de concours?

Il n'y a que le temps qui assoit la crédibilité. Mais c'est difficile à accepter quand on a 21 ans et qu'on a accès aux mêmes plateaux, aux mêmes scènes, aux mêmes salles remplies que les artistes qu'on admire. Je n'étais vraiment pas prête à ce genre de spectacle, à ce genre d'entrevues. Je n'avais pas cette crédibilité, et je le savais. Il y avait énormément de snobisme. Des artistes, qui sont aujourd'hui des amis, ne voulaient pas être associés à moi parce que j'avais fait Star Académie.

Tu t'es laissé porter par la «machine» Star Académie. Tu ne pouvais pas faire autrement. Tu as été prise en charge. Est-ce que ç'a été plus difficile de t'affirmer?

Je n'ai jamais eu de problème à m'affirmer. C'est là que les gens se sont trompés à mon sujet. C'était nouveau, il y a 10 ans. On oublie à quel point la téléréalité n'existait pas encore dans nos foyers. On critiquait ça beaucoup. Je me souviens des déclarations de Biz - c'est paradoxal parce qu'il a participé à l'émission par la suite - ou du coup d'éclat de Daniel Boucher...

Et Michel Rivard...

Michel Rivard, en grosse réaction contre le phénomène, qu'il attaquait, je crois, pour les mauvaises raisons. Je n'ai jamais senti qu'on avait pris le contrôle de ma carrière. Je ne dis pas que tout ça a été un conte de fées, mais pour moi, les failles n'étaient pas là. Les failles étaient dans la rapidité à laquelle on produisait des disques. Sauf le mien! Parce que j'avais besoin d'être reconnue comme artiste, j'ai attendu un an et demi et je suis allée vers quelque chose qui était mille fois plus sombre que ce que je suis vraiment.

Est-ce qu'il t'est resté une amertume de cette expérience-là?

Pas une amertume, parce que j'ai fait la paix avec ça. Mais je trouve qu'on a trop facilement accepté l'existence de ce genre de concept là, où l'on met des gens à l'avant-scène, sans remise en question. Il y a une volonté de briller tout le temps partout, que l'on remarque sur les réseaux sociaux. Et pour moi, ce type de concours, Star Académie ou La voix, est emblématique. J'accepte de t'en parler parce que j'ai pris du recul. Ce n'est pas de la colère. Je trouve que les individus, même s'ils le font consciemment, font partie des dommages collatéraux. Ce n'est pas banal d'être projeté au-devant de millions de téléspectateurs et d'être ensuite obligé de se trouver du travail dans un café ou de vendre du poisson. Tout ça est psychologiquement très difficile.

Je me suis toujours demandé s'il y avait un soutien psychologique adéquat dans ces émissions-là. On fait miroiter toutes sortes de choses à des gens que l'on remplace aussitôt, en sachant très bien qu'ils seront oubliés pour la plupart dans deux ans. Ce n'est peut-être pas injuste, mais c'est cynique et cruel.

On peut se poser la question. Mais dans la «vraie vie» aussi, il y a des gens qui ont de grands succès et pour qui c'est fini par la suite. Je ne dis pas qu'il faut abolir ces concours-là ni que les concurrents sont des victimes. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'ils sont jeunes, et qu'ils ne savent pas à quel point il n'y a qu'une minorité qui reste et trouve sa place. Les plus belles années de ta vie ne peuvent pas être derrière toi quand tu as 25 ans.

Est-ce que tu as regardé Star Académie et La voix?

Non. Et après avoir parlé à des gens, je me suis rendu compte que beaucoup d'ex-candidats ne regardent pas les émissions par la suite. Peut-être parce que c'est trop chargé d'émotion. Les années qui ont suivi de près mon édition, je me suis rendu compte à quel point on avait été remplacés rapidement. Ça fait mal de se sentir ainsi abandonné.

Ses essentiels

Théâtre

Le carrousel, récit théâtral de Jennifer Tremblay, avec Sylvie Drapeau.

Livres

Romain Gary, parce qu'avec lui, il faut relever la tête un peu pour que ça s'imprime bien fort et pour longtemps quelque part.

Cinéma

The Wrestler du cinéaste Darren Aronofsky. Une réflexion touchante et actuelle sur le besoin d'être entendu, reconnu, de performer.

B.D.

Roman illustré en ligne; Fred Fred, par Fred Dompierre. À lire ici: http://fritzbeurlesk.tumblr.com

Photographie

Raymond Depardon

Musique

Le dernier disque d'Albin de la Simone, Un homme. Mon coup de coeur de l'année.