Depuis sa séance de «twerking» aux Video Music Awards, Miley Cyrus est devenue l'incarnation en chair et en latex de la devise: «Parlez de moi en bien ou en mal, mais parlez de moi.» La chanteuse amène sa foire aux malaises au Centre Bell samedi soir.

En décembre dernier, la rédactrice en chef du magazine Time a créé une onde de choc en annonçant que Miley Cyrus était en lice pour le titre de Personnalité 2013 aux côtés du pape François, de Barack Obama et d'Edward Snowden.

Pourquoi diable cette pop star, qui n'avait rien fait d'autre que de se dénuder et de se remuer le derrière, s'était-elle retrouvée dans la courte liste du Time Magazine?

«Parce que le pouvoir n'est pas seulement politique, a répondu la rédactrice en chef. Il peut être culturel ou spirituel. Miley est apparue sur la scène littéralement comme une boule de démolition. À une époque où l'omniprésence des caméras a fait exploser l'exhibitionnisme, elle est le symbole de la façon dont nous vivons.»

Au bout du compte, c'est le pape François qui a remporté le titre de Personnalité 2013.

Reste que Miley Cyrus s'est hissée parmi les 10 finalistes. Pas un mince exploit pour une fille de 21 ans qui, un an plus tôt, se cherchait encore, impatiente de muer, de se débarrasser de son image de petite fille trop sage et d'effacer le personnage de Hannah Montana de sa vie, pour devenir cet idéal rêvé d'elle-même: non plus une enfant sage et docile, mais une femme libre, sexy, sexuée et émancipée.

Le point de bascule

Dans le documentaire Miley: The Movement, produit par MTV, la chanteuse confesse que la mue finale a eu lieu en public aux Video Music Awards fin août, un événement qu'elle qualifie de «hot strategic mess», un bordel stratégique sulfureux.

On se souvient tous que la chanteuse y est apparue en culotte et soutien-gorge de latex couleur chair, la tête couronnée de deux cornes blondes.

Cette image à elle seule était une destruction en règle de ce qui restait de Hannah Montana. Et comme si ce n'était pas assez, la belle a commencé à se trémousser le derrière et à «twerker» la langue sortie, en se passant une main géante en mousse avec un index protubérant entre les jambes.

C'est ainsi que l'ex-égérie de Disney a perdu sa virginité en direct devant des millions de gens. Elle a non seulement volé la vedette à l'imbattable Lady Gaga, elle a aussi mis le feu aux réseaux sociaux et, dans le même élan, s'est mise au monde. Littéralement.

Et tant pis si, les jours suivants, Miley s'est fait traiter de pute vulgaire, de truie, de traînée, de pornocrate... Elle a refusé de s'amender ou de s'excuser. Même qu'à partir de ce moment-là, elle n'a cessé d'en rajouter, sortant un clip où elle se balance nue sur une boule de démolition, se faisant photographier nue pour la couverture du Rolling Stone, puis en train de fumer un joint avant de se parodier elle-même à SNL.

Vint la tournée Bangerz, lancée en février à Vancouver et qui s'arrête samedi soir au Centre Bell, avec ses saucisses en guise de symboles phalliques, ses simili-fellations d'un danseur déguisé en Bill Clinton et ses tenues de strip-teaseuse signées Roberto Cavalli, Kenzo et Marc Jacobs, qui couvrent ses fesses et son entrejambe aussi peu qu'un fil de soie dentaire.

En couverture malgré tout

Malaise, direz-vous? Oui, gros malaise. Malaise dans la voix de la rédactrice en chef Louise Dugas qui a choisi de mettre Miley en couverture du numéro d'avril d'ELLE Québec.

«Nous ne sommes pas les seuls, précise-t-elle. En tout, 16 Elle dans le monde ont diffusé le même texte que nous. Et si nous avons mis Miley en couverture, c'est d'abord parce qu'elle est en spectacle à Montréal et qu'elle correspondait parfaitement à notre thème du mois: la célébrité. En même temps, nous sommes conscients que c'est à double tranchant. Elle a beau être hot, elle ne suscite pas une affection et une adhésion automatiques.»

Malaise aussi pour les parents d'enfants en bas âge, peu au courant des transformations de l'ex-idole de Disney et mis devant le fait accompli les soirs de spectacle. Ce sont ceux qui, dans les arénas, partent en catastrophe ou qui, la veille, annulent leurs billets. Et même s'ils sont minoritaires et que la vente de billets va bien, la tournée est loin d'afficher complet.

Miley, pour sa part, n'a pas trop l'air de s'en faire. «Je suis née pour être celle que je suis en ce moment, affirme-t-elle dans le documentaire de MTV. Pendant cinq ans, j'ai été une autre personne. J'avais besoin de découvrir qui j'étais comme artiste et quelle vision artistique je voulais mettre de l'avant.»

Vision artistique: l'expression est un brin prétentieuse pour un spectacle qui emprunte une grande partie de son imagerie aux clubs de danseuses nues ou à la culture des ghettos. Mais Miley travaille très fort à nous convaincre - et à se convaincre elle-même - que Bangerz est le fruit de son imaginaire foisonnant.

PHOTO LA PRESSE CANADIENNE

Miley Cyrus au prenier concert de sa tournée Bangerz, à Vancouver.

Dans les faits, le spectacle porte le sceau de Diane Martel, une chorégraphe américaine devenue la réalisatrice des clips les plus sulfureux des dernières années, dont celui de la chanson Blurred Lines de Robin Thicke et de son défilé de jolies filles aux seins nus.

Diane Martel a de toute évidence poussé l'imagerie sexuelle dans le spectacle et aidé Miley à profaner, voire à tuer pour de bon le souvenir de Hannah Montana. Ce qui est dommage, c'est que cette imagerie hyper-sexuée nous distrait de la voix solide et du réel talent d'interprète d'une chanteuse qui n'est pas née d'hier.

Fille de son père (ou pas)

Élevée dans le car de tournée de son père Billy Ray Cyrus, filleule de Dolly Parton, Miley Cyrus a passé son enfance sur les genoux des plus grands de la country américaine. Et même si la petite Destiny Hope Cyrus - surnommée Smiley, puis Miley par ses parents - a grandi dans un ranch en banlieue de Nashville et baigné dans la religion baptiste, elle chante depuis toujours. Elle chante très bien même.

Mais à 9 ans, elle a voulu devenir actrice. Selon son père, c'est la faute du diable et de David Lynch. Quel rapport? Pour le diable, on l'ignore. Quant à David Lynch, il a eu le malheur d'offrir un rôle à Billy Ray Cyrus dans Mulholland Drive, qui a relancé sa carrière chancelante et qui lui a valu un premier rôle dans la série Doc.

Or, c'est dans cette série tournée à New York que Miley a fait ses débuts d'actrice avant d'auditionner pour le rôle de Hannah Montana et de déménager à Hollywood - ce qui, toujours selon son père, aurait détruit la famille.

Dans ses entrevues, Miley Cyrus affirme être maîtresse de sa vie, de sa carrière, de sa vision artistique. Elle semble savoir ce qu'elle fait alors qu'en réalité, elle ne fait que creuser le sillon de la femme-objet, de plus en plus nue et offerte au regard d'une société sexiste et pas encore affranchie de la misogynie.

Miley Cyrus est peut-être le symbole de la façon dont nous vivons, comme le croit la rédactrice du Time. Mais cela suppose que Miley a choisi sciemment de s'exposer à tous les vents. Or, ce qui apparaît de plus en plus, c'est qu'elle a été instrumentalisée par son entourage, par l'industrie de la musique et par son époque. Bref, l'heure de son émancipation est peut-être proche, mais elle n'a pas encore sonné.

PHOTO ARCHIVES AFP

Miley Cyrus et Robin Thicke sur scène
aux MTV Video Music Awards, fin août 2013.

Miley en accéléré

1992

Née Destiny Hope Cyrus le 23 novembre à Nashville.

2001

Débuts à la télé dans les séries Doc et Big Fish.

2005-2011

Elle est l'interprète de Hannah Montana, une jeune fille ordinaire le jour qui, le soir venu, se mue en pop star.

2010

Elle tente un virage plus «adulte» avec Can't Be Tamed.

Août 2013

Elle fait scandale aux Video Music Awards et met au monde la nouvelle Miley Cyrus.

Octobre 2013

Elle sort Bangerz, son quatrième disque.

14 février 2014

Elle donne le coup d'envoi de la tournée Bangerz.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS