Il a passé sa vie sur les planches tout en la mettant en scène pour des Français qui projettent leurs passions intimes et politiques depuis plus de 50 ans sur cette unique rock-star nationale: Johnny Hallyday fête samedi ses 70 ans avec un méga-concert à Paris.

Crinière blonde, yeux bleus-verts en amande, voix grave et éraillée, corps encore musclé trois ans après avoir frôlé la mort, Johnny chante depuis 1959 l'amour et ses poisons sur toute la musique qu'il aime et qui vient du blues.

Mais ce baby-boomeur imprégné de culture anglo-saxonne, qui se targue d'avoir lancé Jimi Hendrix en France en 1966, n'est jamais entré dans le gotha des rares artistes français rentables à l'exportation (Mireille Mathieu, le mime Marceau, Charles Aznavour, Yves Montand...).

À son grand regret, Johnny donne raison à John (Lennon): «Le rock français, c'est comme le vin anglais». Insipide pour les puristes. «Il aura beau accumuler les enregistrements dans le Tennessee, les rodéos en Harley Davidson, les bandanas de Sioux, habiter de fausses villas texanes, quelque chose le colle invariablement au terroir national», résume l'écrivain Marc Lambron dans le Figaro Magazine.

Né le 15 juin 1943 d'un père belge qu'il n'a presque pas connu, élevé dans un milieu d'artistes, Jean-Philippe Léo Smet (son vrai nom) s'est donc contenté d'importer dans les années 60, dans une France débarrassée de sa dernière guerre coloniale en Algérie, le vent de liberté qui balayait Carnaby Street à Londres ou les campus américains aux rythmes binaires du swing, du rock, du twist ou du yé-yé.

«On m'appelle l'idole des jeunes», chante alors le Elvis français aux faux airs de James Dean, en reprenant dans sa langue des standards anglais comme Les portes du pénitencier, adaptation de The House of the Rising Sun (The Animals).

Très vite, sa vie appartient aux Français qui le suivent à l'armée en 1964 et dans sa marche nuptiale avec la chanteuse blonde d'origine bulgare Sylvie Vartan.

Plus aimé à droite qu'à gauche

Ses cinq mariages avec Sylvie Vartan, Babeth Étienne (il dure trois mois!), Adeline Blondieau (deux fois), et Laeticia Boudou depuis 1996 - de 33 ans sa cadette -, sa tentative de suicide en 1966, son coma, sa dépression et sa résurrection en 2009-2010, ses enfants (David, chanteur, Laura, actrice née d'une union avec l'actrice Nathalie Baye, Jade et Joy, deux Vietnamiennes adoptées avec Laeticia)...: tout y passe pour nourrir sa légende et les chansons de ses 45 disques vendus à plus de 100 millions d'exemplaires.

«On a tous en nous quelque chose de Tennessee (Williams)», souffle-t-il à des fans qui par mimétisme ont tous en eux quelque chose de Johnny: «À cause de ses excès, d'alcool, de drogues et de mariages ratés, les Français lui pardonnent ce qu'ils se pardonnent à eux-mêmes», avance un autre écrivain, Daniel Rondeau.

Pas tous: Johnny, qui s'est aussi essayé au métier d'acteur au cinéma, a le don de susciter le rejet viscéral des intellectuels de gauche, avec ses sympathies pour les ex-présidents gaullistes Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, et l'installation de sa résidence fiscale en Suisse.

La gauche «pousse vers la médiocrité», répond-t-il dans un livre après l'élection du socialiste François Hollande, ajoutant: «On a souvent dit que je m'étais barré pour ne pas payer d'impôts. C'est en partie vrai, mais c'est aussi parce que c'est épuisant cette ambiance (...). En France la réussite c'est louche, on trouve ça dégueulasse».

À défaut de faire le consensus politique, Johnny relie tous les âges de la société française. Ses concerts réunissent trois générations, des retraités qui ont découvert le rock avec lui jusqu'à leurs petits-enfants, en passant par des parents nostalgiques de son compagnonnage avec les grandes signatures de la variété française (Michel Berger, Jean-Jacques Goldman...).

Selon un sondage, 65% des Français jugent qu'il devrait prendre sa retraite. Le septuagénaire réplique en citant Aznavour: «À 90 ans il se produit encore sur scène dans le monde entier. Cela me laisse une petite marge».