Dave Éric Ouellet a créé le personnage de MC Gilles à la radio étudiante de l'Université Laval. Le but était simple: tracer une ligne entre ses deux personnalités, l'une attirée par la gestion dans le monde des communications, et l'autre aimant, pendant ses temps libres, faire tourner de vieux disques quétaines comme Guy Lafleur disco.

Mais contre toute attente, MC Gilles a envahi la vie de Dave Éric Ouellet et l'a, pour ainsi dire, bouffé tout rond. Aujourd'hui Dave vit dans un placard en Mauricie pendant que MC Gilles brille à la télé ou dans les soirées de danse contemporaine, où il officie comme DJ.

Depuis vendredi, le meilleur ami de MC Gilles, un chien-saucisse baptisé Pavlov, est une des 47 vedettes du spectacle Daschund Un, présenté gratuitement jusqu'à demain à la place des Festivals par le FTA.

Il s'agit de la reconstitution d'un parlement des Nations unies, dont tous les sièges sont occupés par des chiens représentant chacun un pays.

Profitant du prétexte, j'ai voulu rencontrer ce drôle d'énergumène qu'est MC Gilles pour parler de son chien-saucisse un brin belliqueux, qui risque de représenter la Corée du Nord, mais surtout de lui, de son personnage, de son dualisme existentiel et de la qualité de l'ironie qui l'habite. Sincère ou moqueuse?

MC Gilles est arrivé à La Presse vêtu d'une chemise western noire, son chapeau de cowboy signature enfoui dans son sac à dos. Mais le plus intéressant de sa tenue était caché sous la chemise qu'il s'est empressé de déboutonner pour me faire voir un t-shirt portant l'inscription: Chandail de loup. Il n'en fallait pas plus pour nous faire plonger dans le vif du sujet: la posture ironique et ses dérives.

Dans mon carnet de notes ce jour-là, j'avais glissé le texte de Pierre-Alexandre Fradet, diplômé en philo de Laval, sur la posture ironique devenue le credo de toute une génération. Dans ce texte paru dans Le Devoir, MC Gilles est décrit comme un des principaux représentants de la tendance ironique.

«Faire appel à l'ironie, c'est signifier le contraire de ce qu'on dit au sens littéral, écrit Fradet. Lorsqu'on enfile ironiquement un chandail de loup, on laisse donc entendre qu'il est inélégant, incongru, déplacé de porter ce vêtement. Le recyclage ironique d'objets associés à la pop culture ne fait pas que susciter le rire: il crée aussi une frontière. D'un côté, il y a les gens branchés qui portent le chandail de loup et le tournent en ridicule, et de l'autre, les démodés qui le revêtent sans ironie.»

MC Gilles avait lu le texte. Ce qu'il en pense?

«Ce que Fradet ne comprend pas, c'est que je ne me moque pas de la pop culture. Ça m'intéresse réellement et sincèrement. Moi, je ne me place pas au-dessus des quétaines, mais au-dessous. Je me considère comme un quétaine assumé et comme le canal de communication entre deux mondes.

«Pour moi le beau, le laid, le bon ou le mauvais, ça n'existe pas. Tout est égal. Madonna ou mon garagiste, pour moi, c'est du pareil au même. Je ne porte pas de chandail de loup, je porte un t-shirt qui se moque de ceux qui se moquent du chandail. Bref, je suis rendu un degré plus loin que l'ironie.»

Mais encore. Peut-on honnêtement avoir un bac en sciences politiques et être l'auteur d'une maîtrise sur le fonctionnement du CRTC et sa gestion des licences, tout en voyant dans les élucubrations de Normand L'Amour la quintessence de l'avant-garde? N'est-ce pas tenter un grand écart qui finit par se dissoudre dans l'insignifiance?

«Je n'ai jamais été à la mode, je n'ai jamais suivi le troupeau. Au secondaire, j'avais déjà l'air d'un hipster, même si les hipsters n'existaient pas encore. La conscience de l'image, je ne l'ai jamais eue. Je me suis toujours foutu de [ce dont] j'avais l'air. Je pense que je voulais être un has been avant même d'avoir été un wannabe. Je ne me prends pas au sérieux. Je veux être libre et au-dessus de la mêlée, et la seule chose que je refuse, c'est la division sociale et surtout le faux standing social.

À la recherche de l'authentique

«On vit dans un monde superficiel et je combats ça, en cherchant l'authentique, peu importe où je le trouve. Normand L'Amour, je vais le défendre jusqu'à la fin parce que je suis convaincu que dans 200 ans, il y a des gens qui vont triper en l'écoutant dans leur sous-sol.»

Pour vraiment comprendre de quel plywood MC se chauffe, le mieux, c'est de revenir à ses racines et au milieu qui a façonné l'étrange bébitte qu'il est devenu.

Élevé à Sainte-Foy, sous le prénom de Dave, MC est un croisement entre son père Walter Ouellet, ingénieur en aéronautique, et sa mère Jacqueline Malenfant, infirmière.

«Du côté de mon père, la famille était très scolarisée. Du côté de ma mère, issue du monde rural, un peu moins. De sorte que chez nous, le classique et le country cohabitaient sans le moindre jugement de valeur. Tout part de là.»

Vedette locale grâce à ses émissions de radio rétro à CISM, dont il a été le directeur général pendant quelques années, MC Gilles est devenu une vedette nationale avec Infoman, à partir de 2000. En Jean-René Dufort, il a trouvé, sinon un frère, à tout le moins un congénère aussi épris d'ironie que lui.

Défroqués tous les deux du monde sérieux et de l'ordre établi, ils se complètent. Le ridicule que Dufort expose en politique, MC Gilles l'expose en culture et en musique, accordant une notoriété fugace aux obscurs et aux sous-estimés, dont les oeuvres croupissent dans les poubelles des comités de musique. Sauf que si les moqueries politiques de Dufort sont claires, les moqueries culturelles de MC Gilles sont plus ambiguës. Et d'autant plus que MC Gilles n'aime rien de mieux que ce qui est vieux, dépassé et démodé.

Amoureux du dépassé

Pourquoi cette prédilection passéiste? Est-ce un refus de la réalité et du présent?

«C'est le refus d'un certain système, répond-il. Moi, ça ne me tente pas d'aimer une musique qui m'est imposée par une machine qui veut me laver le cerveau. Je tiens à rester libre et indépendant de ce système et à faire mes propres choix.»

Amoureux fou des disques en vinyle, MC Gilles en possède environ 50 000, mais refuse de se voir comme un collectionneur.

«Mes disques ne sont pas classés avec un souci maniaque. Ils remplissent, pêle-mêle, deux chambres et un garage dans ma maison en Mauricie. Je les ramasse et je les partage.»

Le 30 mai, MC rangera son chien-saucisse et retrouvera ses platines à la salle La Tulipe pour une soirée de démocratisation de la danse contemporaine en compagnie de 20 jeunes chorégraphes. Ceux-ci entendent prouver que la danse contemporaine est accessible, conviviale et qu'on peut même en rire. Autant dire que personne ne se prendra au sérieux. Surtout pas MC Gilles.

MC Gilles en accéléré

1) De son vrai nom

Dave Éric Oullet. Né à Québec le 11 mai 1973 dans une famille mi-country, mi-classique.

2 ) Études

Bac en sciences politiques à l'Université Laval. Maîtrise en gestion des communications sur le CRTC et sa gestion des licences.

3 ) Premières armes

Animateur à CHYZ, la radio étudiante de l'Université Laval, puis directeur de CISM à l'Université de Montréal, où il fait jouer les disques trouvés dans la poubelle du comité musical sous le pseudonyme de MC Gilles, en hommage aux Gilles dont le prénom est en voie d'extinction.

4) Voue un culte...

À Normand L'Amour, aux chapeaux de cowboy, aux chandails de loup et aux chiens-saucisses.