Ancêtre du synthétiseur, les ondes Martenot revivent à travers un fascinant documentaire qui prend l'affiche ces jours-ci à Montréal. Est-ce que ce sera suffisant pour sauver cet instrument en voie d'extinction?

On les a entendues chez Harmonium et Beau Dommage. Elles ont chanté pour Jacques Brel. De grands compositeurs ont écrit spécialement pour elles. Sans oublier la tonne de films d'horreur et de science-fiction qui s'en sont servi pour nous donner des frissons.

Ancêtre du synthétiseur, les ondes Martenot ont traversé un siècle de musiques plus ou moins obscures. Tout le monde a entendu un jour ou l'autre leur voix obsédante, à mi-chemin entre un fantôme et une scie pleureuse.

Et pourtant. Bien que l'instrument ait depuis longtemps gagné ses lettres de noblesse, son avenir semble toujours incertain. Il ne resterait actuellement que 70 des 300 machines fabriquées par la famille Martenot entre 1928 et 1988. Et ceux qui en jouent, les «ondistes», ne sont plus qu'une poignée, faute de relève.

Le fascinant documentaire Le chant des ondes, qui sort ces jours-ci à Montréal (voir notre critique en page 11 du cahier cinéma) ravivera peut-être l'intérêt autour de l'instrument. C'est du moins ce que souhaite Caroline Martel, qui voit son film comme un «contribution à un patrimoine mondial».

Mais en attendant, la situation reste précaire.»Bientôt, on va atteindre un point où les ondes vont devenir des pièces de musée», tranche Jean Landry, luthier de l'électronique depuis le milieu des années 80. «Je ne suis pas pessimiste, je suis réaliste.»

Dans la marge

Créées par le Français Maurice Martenot, un ancien télégraphiste de guerre reconverti en professeur Tournesol de la musique, les «ondes musicales» ont connu un certain succès lors de leur invention. Le public parisien s'est émerveillé devant cette drôle de bibitte électronique qui pouvait se jouer sans clavier. Les compositeurs contemporains comme Arthur Honegger et Olivier Messiaen lui ont fait honneur plus d'une fois. Le cinéma a achevé de faire entrer le son de l'instrument dans la culture populaire, à travers de nombreux films de fantômes et de Martiens.

À cause de leurs sonorités si particulières et de leur répertoire somme toute limité, les ondes sont malgré tout restées en marge. Fabriqué à la main par son inventeur, l'instrument était par ailleurs assez rare, pour ne pas dire inabordable. L'apparition du synthétiseur, plus accessible et moins imprévisible, achèvera de reléguer les ondes Martenot au rang de curiosité, leur survie n'étant assurée que par un club très sélect de musiciens rompus à la musique contemporaine.

Cofondatrice de l'ensemble d'ondes de Montréal, Suzanne Binet-Audet est la première à reconnaître que l'instrument est menacé. «Les ondistes vieillissent», lance la musicienne québécoise, qui a appris dans les années 60 auprès de Martenot lui-même.

Selon elle, on ne réussira jamais à renouveler le bassin d'ondistes, si on n'enseigne pas l'instrument. Or, au Québec, deuxième épicentre des ondes après la France, le conservatoire de Montréal ne donne plus de cours d'ondes Martenot depuis la fin des années 90, question de rentabilité. Une aberration, avance celle que l'on surnomme la Jimi Hendrix des ondes. «Il faut qu'une institution reprenne ça en main, sinon comment assurer la suite des choses? demande la musicienne. Il y a des oeuvres magnifiques qui ont été écrites pour cet instrument.»

«Même si on recommençait à donner des cours, personne ne se garrocherait au portillon», rétorque Jean Landry. Pour le luthier, le problème réside plutôt dans le côté exclusif de l'instrument, inaccessible à plus d'un niveau. «Une des raisons, c'est que c'est difficile à jouer. Et l'autre, c'est que l'instrument n'a jamais vraiment réussi à entrer dans la musique populaire. À mon avis, il n'y a pas encore la masse critique et pas assez d'intérêt pour remettre la roue en marche.»

L'effet Radiohead

Il y a quand même une lueur d'espoir. Depuis le début des années 2000, les jeunes musiciens pop ont recommencé à s'intéresser aux vieux instruments électroniques. Jonny Greenwood, le premier, a utilisé beaucoup d'ondes Martenot dans les musiques de Radiohead et pour ses musiques de film (voir ci-dessous). Caroline Martel est convaincue qu'on doit au musicien le regain d'intérêt autour de l'instrument. «Il a suscité une belle curiosité», dit-elle.

En outre, quelques artisans allumés se sont mis en tête de fabriquer de nouveaux instruments, afin de perpétuer la tradition. C'est le cas du Français Jean-Loup Dirstein, luthier de Daft Punk, Vangelis et Jean-Michel Jarre, qui en a fabriqué une dizaine, en utilisant les mêmes secrets de fabrication que Maurice Martenot, au grand soulagement des ondistes professionnels. «Il a su gagner leur coeur, ce n'était pas évident», dit Caroline Martel.

On mesurera dans quelques années l'impact de cette renaissance. D'ici là, souhaitons que le chant des ondes ne devienne pas un chant du cygne...

> Le chant des ondes, sur la piste de Maurice Martenot est présenté au cinéma Excentris jusqu'au 21 mars. Des artisans et participants du film échangeront avec les spectateurs après quelques projections.

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Jonny Greenwood: «Les ondes auraient mérité mieux»

Passionné d'ondes Martenot, le multi-instrumentiste de Radiohead Jonny Greenwood ne s'est pas fait prier pour apparaître dans le documentaire de Caroline Martel. Joint par courriel, il répond aux questions de La Presse.

Q Racontez-nous votre première fois...

R C'était sur un disque d'Olivier Messiaen. J'avais 15 ans. Après, j'ai lu tout ce qui avait été écrit sur cet instrument. Quand j'en ai finalement trouvé un, dans un magasin à Paris, je n'avais aucune idée comment en jouer!

Q Qu'est devenu cet instrument?

R Pas mal brisé aujourd'hui. Mais j'ai récemment acheté de nouvelles ondes, faites par Jean-Loup Dirstein. C'est une très belle machine. Je n'achète jamais de guitares ou de claviers d'occasion - ça ne m'intéresse pas - alors autant acheter des ondes neuves...

Q En général, les amateurs d'instruments électroniques vintage préfèrent le moog et le theremin. Pourquoi avoir jeté votre dévolu sur les ondes?

R Le theremin est trop difficile à contrôler. À l'inverse, le moog est beaucoup trop précis. Les ondes peuvent être à la fois très neutres et très expressives, ce qui donne un très grand spectre de possibilités. À mon sens, il s'agit de la meilleure interface entre un musicien et le son des tonalités électriques pures.

Q Les ondes Martenot sont toujours restées assez marginales, pourquoi selon vous?

R Certains disent qu'elle sont arrivées au mauvais moment. Elles ont très vite été associées au «space age» ou à la musique classique sérieuse de la moitié du XXe siècle. Dommage. Le saxophone a commencé comme un instrument de marches militaires et a fini par devenir autre chose. Je crois que les ondes auraient mérité mieux.

Q Vous rencontrez Maurice Martenot demain, que lui demandez-vous?

R D'en fabriquer 300 de plus...