Six années durant, Jorane a joué les sédentaires et limité son champ d'action au Québec. Parallèlement, cette créatrice sans frontières explorait le territoire balisé de la forme chansonnière. Son plus récent album, L'instant aimé, laisse croire que son futur passe par un retour aux formes instrumentales.

Impétueuse, tempétueuse, fougueuse, le nom de Jorane a souvent été précédé ou suivi d'un mot laissant entendre le vent fou qui souffle dans ses premiers disques. Qu'en reste-t-il, 12 ans après son remarquable et marquant 16 mm? Une brise jamais banale, mais surtout plus chaude et plus charnelle qu'à ses débuts. Plus organique aussi.

L'instant aimé n'est pas un album posé, à proprement parler. De sa reprise de J'ai rencontré l'homme de ma vie (chanson bien sûr associée à Diane Dufresne) à l'instrumentale Ghost II, la balade est mouvementée. Il reste qu'il s'en dégage une sérénité, une confiance et un je-ne-sais-quoi de terrien. Ce qui n'est pas rien pour une musicienne capable d'extraordinaires envolées.

«Je pense que c'est mon album le plus groundé, avance Jorane. C'est un album ouvert. 16 mm et Vers à soi, c'était mon univers à moi que j'explorais et je vous en parlais. Là, je parle du monde, de la vie, de concepts évidents peut-être, mais qu'on essaie tous de comprendre: l'amour, le temps présent et tout ça. Avec, je l'espère, une approche différente.»

La manière simple de décrire L'instant aimé serait de dire que c'est un disque de transition. Jorane, on le sent, fait un mini bilan de parcours en juxtaposant chansons connues (J'ai demandé à la lune, popularisée par Indochine), chansons à elle, adaptation de poème (Allégeance, de René Char, superbement mis en musique) et explorations instrumentales marquées par la guitare classique et le marimba.

«J'ai touché à beaucoup de choses au fil du temps et je sens qu'il y a plein d'éléments qui valent la peine d'être approfondis. J'ai un terrain de jeu de feu, immense, maintenant, je joue dedans», illustre la musicienne. Ses jeux nouveaux ne se passeront pas forcément des mots, puisque sa tournée solo basée sur son album Une sorcière comme les autres lui a permis de constater ce que c'est que d'aller vers les gens avec des textes forts.

Ponctuations sonores

Parmi les éléments distinctifs de L'instant aimé, il faut souligner la présence souvent discrète, mais marquante, d'Hugo Larenas à la guitare classique. Jorane elle-même, rappelons-le, jouait de la guitare classique avant de succomber au chant profond du violoncelle. Mettre en valeur le jeu de ses accompagnateurs était d'ailleurs une ligne directrice de l'album. «Je voulais vraiment qu'on les sente jouer», dit-elle.

Son goût pour les percussions se fait encore sentir, et pas seulement en raison de l'omniprésence du marimba, instrument latino-américain dont elle dit être tombée amoureuse... au Japon. «Les percussions pour moi, ce sont des éléments de ponctuation. Je n'aime ne pas me sentir prisonnière d'un beat», souligne la musicienne. Ce qui la transporte, ce sont les batteries fournies qui peuvent donner le change au plan des textures et des timbres.

«Ça raconte plus d'histoires... C'est comme un langage avec plus de mots», précise Jorane, qui rêve maintenant d'une tournée où elle serait accompagnée d'un violoncelle (en plus du sien) et d'un marimba. «Un vrai marimba, ce serait débile!» Mais bon, un instrument d'une telle envergure ne se transporte pas dans le coffre arrière d'une berline. Il poserait aussi un défi logistique aux tournées européennes, avec lesquelles Jorane entend bien renouer.

Refaire ses valises

La semaine dernière, elle était justement en spectacle en France pour tâter le terrain et donner quelques concerts. «L'envie de jouer et de tourner est encore là, assure la musicienne», qui a beaucoup joué en Europe du Nord - en particulier en Allemagne et en Scandinavie - au tout début de sa carrière.

Elle est prête à refaire ses valises et à fréquenter les aéroports, mais à un rythme plus familial puisqu'elle est la maman de trois jeunes garçons. Jorane croit néanmoins que renouer avec son métier de manière plus étendue peut avoir un effet sur sa maisonnée: «Tu rentres chez toi, tu as bien travaillé, tu es épanouie, et ça se transmet, juge-t-elle. L'important, c'est d'être vraiment présent quand tu es là.»