Gary Versace à l'orgue Hammond B3, Gerald Cleaver à la batterie, Ellery Eskelin au saxophone ténor. Trio de jazz fondé sur l'orgue? Oui mais... détrompez-vous, il n'est pas question ici de grooves à la Jimmy Smith, Big John Patton ou Brother Jack McDuff. Ce trio new-yorkais que dirige son saxophoniste emprunte des sentiers plus insolites. Rencontres Hammond B3 d'un troisième type... pour trois types!

Le choix de l'orgue Hammond B3 s'inspire de maman Bobbie Lee, nous apprend fiston Ellery.

«Elle avait appris l'orgue à l'église pentecôtiste, qui préconisait des chants religieux très inspirées par la communauté afro-américaine. Avant ma naissance, les gens de couleurs et les blancs de cette congrégation se sont divisés, je n'en connais pas les raisons exactes mais... l'influence musicale originelle est demeurée vivante au sein des deux factions. Comme le rappelle ma mère, cette musique sacrée faisait bouger!»

Ainsi, maman Bobbie Lee devint organiste professionnelle au tournant des années 60.

«Elle n'improvisait pas beaucoup mais interprétait tous les standards du Great American Songbook avec une grande précision et un sens du swing hors du commun. J'ai grandi dans ce contexte dans la région de Baltimore et Washington DC. Jusqu'à ce que je sois âgé de six ans, ma mère jouait six soirs par semaine dans les clubs de nuit. Elle fut une jeune musicienne et jeune maman, avec tout ce que ça  supposait alors; plusieurs fois remariée, elle dut faire face à cette vie nouvelle dans le contexte des années 60. Ce fut néanmoins la racine de mon inspiration musicale. Il y avait plusieurs fêtes à la maison, il faut dire; on y jouait de la musique et c'est ainsi que je m'y suis mis à en faire.»

Le Hammond B3, rappelle justement Ellery Eskelin, était un instrument proéminent à la fin des années 50 et au début de années 60.

«Son utilisation a décliné mais l'instrument n'a jamais disparu. Ce son demeure unique, immédiatement identifiable et favorise une puissante connexion émotionnelle. En fait, je suis revenu à cet instrument car ma mère m'a donné le sien. Depuis que j'en ai hérité, j'invite des musiciens à en jouer dans mon appartement de New York. Gary Versace est venu chez moi, il s'y est mis à l'occasion et... de plus en plus. Un groupe s'est finalement constitué avec Gerald Cleaver.»

Sous la bannière Trio New York, un album a été enregistré sous étiquette Prime Source, constitué de reprises très libres de Eubie Blake, Cy Coleman, Irving Berlin et autres Monk.

«Cette relation musicale est fertile depuis ses débuts, se réjouit, Ellery Eskelin. Gary est versé dans la tradition tout autant que dans l'improvisation libre. Idéal pour ma vision des choses: nous avons trouvé le moyen de combiner cette instrumentation  (Hammond B3, batterie, saxophone ténor) qui suggère un jazz classique et l'improvisation libre. Parfois, nous partons de l'impro pour finalement aboutir à un thème et une progression d'accords. Parfois, nous faisons le chemin inverse.»

Autrement dit, cette musique est jalonnée par des balises connues bien qu'elle puisse bifurquer vers un langage plus éclaté, atonal ou arythmique.

«Nous ne craignons pas  les référence aux trios classiques de jazz fondé sur le Hammond B3, assure le saxophoniste. Notre protocole consiste essentiellement à maintenir l'écoute mutuelle et s'exprimer en toute liberté même si peuvent surgir des références plus conventionnelles. Nous n'avons donc pas de règles strictes sur l'exclusion ou l'inclusion d'un langage jazzistique plus traditionnel. Et l'on ne s'oppose certes pas à ce que le groupe se mette à swinguer.»

Également peu probable que ces trois types s'opposent à ce que l'auditoire en fasse autant.

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Constitué d'Ellery Eskelin, saxophone ténor, Gary Versace, orgue Hammond B3 et Gerald Cleaver, batterie, le Trio New York se produit à la Sala Rossa ce dimanche, 20h, dans le cadre des Suoni Per Il Popolo.