Tomás Jensen a troqué son côté militant et mordant contre la douceur de la bossa-nova le temps d'un CD. Le chanteur d'origine argentine y rend hommage à la supervedette brésilienne Caetano Veloso, en attendant un disque solo prévu à l'automne.

Tomás Jensen adore la musique brésilienne, sa préférée parce que ceux qui la fabriquent sont «très forts, toujours à l'avant-garde». Et pour lui, Caetano Veloso n'est rien de moins qu'un grand. «J'admire l'homme, sa démarche, ses chansons. Il a été un des premiers à métisser sa musique aux influences extérieures, dès la fin des années 70.»

Sur Face A Face B, Tomás Jensen a choisi six chansons - cinq de Caetano Veloso, une de son fils Moreno - et a fait deux versions de chacune: une acoustique et une électro. «J'ai fait ça surtout pour m'amuser, pour jeter un regard différent sur des classiques, leur donner une autre perspective. On ne se rend pas compte à quel point un arrangement peut changer une chanson.»

Tomás Jensen affirme que ce disque «quasi expérimental» et sans budget, fabriqué tout seul en attendant d'avoir assez de chansons pour son album solo, est peut-être son plus personnel. «Parce que la bossa-nova m'accompagne depuis que je suis tout jeune. J'avais 19 ans quand j'ai découvert Caetano Veloso, et j'ai toujours joué ses chansons. C'est une musique qui m'habite depuis toujours et qui parle de ce que je suis. En même temps, les versions remixées parlent de mon présent, de ce que j'ai envie de travailler maintenant.»

Exigeant

Né en Argentine, bourlingueur qui a voyagé en Amérique latine, vécu en France et atterri au Québec à la fin des années 90, Tomás Jensen est un peu notre Manu Chao, qui a fait vibrer en français son rock latino avec les Faux-Monnayeurs, puis en espagnol avec Hombre. Il a cependant évacué son ton revendicateur sur Face A Face B, et sa voix y est parfois méconnaissable tellement il la fait grimper dans les hauteurs. «Ce n'est pas facile, mais depuis que j'ai arrêté de fumer, j'y arrive mieux!»

En fait, sous ses allures simples «qui semblent couler de source», la bossa-nova est un genre extrêmement complexe, souligne-t-il. «Les accords, les mélodies, les harmonies, il n'y a jamais rien d'évident. En folk ou en blues par exemple, il y a souvent des suites logiques d'accords. En bossa-nova, jamais. C'est toujours une nouvelle pièce qu'on apprend, qui ne ressemble à aucune autre.» La technique de guitare est donc très exigeante. «On remarque tout de suite les guitaristes qui l'ont, et ceux qui ne l'ont pas!»

Tomás Jensen l'avoue: le but premier de ce disque est de faire connaître Caetano Veloso. «Et j'espère que ceux qui le connaissent déjà vont aimer mes versions remixées, qu'ils ne verront pas ça comme un sacrilège! C'est peut-être une contradiction, mais même si j'aime la tradition, je suis pour qu'on se permette de franchir les frontières.»

Pour lui, ses versions électro sont un ultime salut à un artiste qui n'a jamais eu peur de déconstruire ses propres chansons, de les transformer et d'en modifier les interprétations. «Est-ce qu'il aimerait ce disque? Je ne sais pas... C'est sûr que j'aimerais qu'il l'entende en tout cas. Mais je sais qu'il est perfectionniste, et que mon disque est perfectible.»

Au cours des prochains mois, le chanteur donnera des spectacles avec les chansons de Caetano Veloso - on espère le voir au Festival de jazz. Il compte également continuer ses démarches pour faire connaître Hombre en Amérique latine et travaille sur son prochain album solo, qui devrait être moins revendicateur que les précédents. «Je pense que je suis apaisé. J'ai toujours écrit des chansons d'amour, mais je ne les assumais pas. Maintenant oui. Comme Caetano Veloso d'ailleurs, qui a fait les trucs les plus quétaines qui soient, mais aussi des chansons très engagées. On peut être les deux à la fois.»

Tomás Jensen sera en spectacle à l'Upstairs le 28 mars à 19h et à 21h45.

Face A Face B (Disques L.Abe), de Tomás Jensen