Pourquoi jouer aujourd'hui la musique de Vertigo, bande originale du classique d'Alfred Hitchcok que composa Bernard Herrmann en 1958 ? Parce que cette musique demeure très belle et d'autant plus substantielle. Parce qu'elle a passé l'épreuve du temps.

On sait qu'une portion dominante du cinéma hollywoodien s'est limité pendant près d'un siècle au néo-romantisme d'inspiration classique. Très majoritairement, ses compositeurs de bandes originales ont préconisé ce sirop orchestral qu'imposaient carrément les producteurs des grands studios. Feu Bernard Herrmann, lui, a su éviter ces contraintes sans que les financiers du cinéma s'en formalisent. Aujourd'hui, il est considéré parmi les incontournables de la grande musique de film.

Très moderne, il a créé une oeuvre bien au-delà des nombreux films auxquels ses musiques furent associées. De Citizen Kane (Orson Welles, 1941) à Taxi Driver (Martin Scorsese,1975), il fut sans conteste l'un des créateurs les plus novateurs de la musique hollywoodienne. Déjà en 1951, la bande originale du film The Day The Earth Stood Still, réalisé par Robert Wise, il usait d'instrumentations atypiques - guitares électriques, instruments électroniques tel le thérémine, quatuor de harpes, quatre pianos simultanés, etc.

Le Montréalais William Hesselink, batteur, percussionniste, mais aussi compositeur et arrangeur (sans compter sa participation dans le groupe People for Audio) , est un fan fini du compositeur américain. Il a entrepris de s'attaquer à ce Vertigo d'Hitchcock, musique créée pour le fameux cinéaste dont Herrmann fut le compositeur crucial : The Trouble With Harry, The Man Who Knew Too Much, The Wrong Man, North by Northwest, Psycho, The Birds (dont il fut consultant), Marnie, Vertigo.

« Moderne? Absolument. On trouve néanmoins des éléments romantiques dans la bande originale de Vertigo, des citations de Wagner par exemple. On y trouve aussi de superbes mélodies. Cela chevauche ces explorations chromatiques, ces constructions harmoniques qui ne correspondent à aucune gamme tonale de la musique classique pré-moderne, ces motifs de jazz, cette complexité rythmique, ces arrangements pour cuivres si intenses, si écrasants », fait observer Hesselink.

Ainsi, ce musicien originaire de Guelph et installé à Montréal depuis 2003 après avoir vécu à Toronto et à Vancouver (où il a étudié la musique), a entrepris de relire à sa manière la musique de Vertigo. «Ma compagne et moi avons un bébé de huit mois... Puisque je dois me lever dès 5h30 du matin, j'en profite pour écrire et arranger de la musique. Ça dure depuis la naissance de notre enfant », explique le musicien qui gagne sa vie également dans l'enseignement de l'écologie.

Diplômé en biologie et en éducation, il a aussi étudié la musique et, notamment, la musique de film. Capable d'arranger pour des formations de toutes tailles, il l'a fait régulièrement pour des  groupes et musiciens capables d'interpréter sa musique.

Comment s'y est-il pris pour la b.o. de Vertigo ?

« J'ai dû transcrire moi-même cette musique car je n'avais accès aux partitions - très difficile avec Hollywood. En fait, j'y ai rapidement renoncé, considérant qu'il était plus enrichissant de retranscrire et adapter cette musique pour la taille de ma formation et la personnalité des musiciens impliqués. Ainsi, j'ai dû réduire certaines parties et en laisser d'autres plus ouvertes à l'interprétation. L'instrumentation n'est pas exactement la même non plus :  je joue avec une batterie alors qu'il n'y en a pas dans les partions originales, le saxophone basse remplace la clarinette basse, etc.  J'ai donc arrangé pour un ensemble différent (21 musiciens) tout en en maintenant l'esprit. »

Nous avons bien saisi que nous ne serons pas à la cérémonie des Oscars ! Et que William Hesselink  ne compte pas sur des musiciens du type préconisé en 1958 par Bernard Herrmann. Il draine plutôt dans l'indie anglo et l'avant-garde de Montréal : Richard White des Besnard Lakes, Pietro Amaro du Bell Orchestre et des Luyas, Mathieu Charbonneau des Luyas, Thierry Amar de Godspeed You! Black Emperor et Thee Silver Mt.Zion Jessica Moss également de TSMZ, Gen Heisteck de HangedUp, Rebecca Foon d'Esmerine, Josh Zubot de Land of Krush (Sam Shalabi)... Marika Shaw et Sarah Neufeld, violonistes d'Arcade Fire ont dû annuler à cause d'un prolongement de tournée.

« Plusieurs de mes collègues sont d'excellents improvisateurs et musiciens, fait observer le leader. Josh Zubot, Jason Sharp, Thierry Amar, Dave Gossage...  Je suis chanceux de pouvoir compter sur ces amis qui constituent ce groupe incroyable.  Tous reconnaissent le côté intemporel de la musique de Bernard Herrmann et sont très motivés à la jouer. Il va sans dire, je ne pourrais pas tourner avec un tel groupe. Ma vie actuelle ne me le permet pas et ces musiciens sont tous très occupés. »

Sous la direction de William Hesselink, donc, tout ce beau monde profitera pleinement du moment présent. Que les mélomanes des Suoni per il Popolo se le tiennent pour dit.

Ce mardi, 20h, Sala Rossa, les Suoni per il Popolo présentent  The Sound of Obsession : Vertigo de Bernard Herrmann par The Lost Orchestras sous la direction de William Hesselink. Au même programme, Stimmung de Karlheinz Stockhausen, pièce pour six voix dirigées par Will Eizlini.