Quand son père est mort, il n'avait que 18 ans et il commençait à peine à gratter la guitare. David Laflèche ignorait alors qu'il allait suivre les traces de son père, Jacques Laflèche, qui a notamment été chef d'orchestre de l'émission de Michel Jasmin. «J'ai entendu mon père jouer de la musique toute sa vie, mais on n'a jamais joué de musique ensemble», dit celui qui dirige aujourd'hui l'orchestre du talk-show de Pénélope McQuade.

Son nom ne dit peut-être pas quelque chose à tout le monde, mais tous l'ont vu derrière sa guitare à la télévision, que ce soit à Bons baisers de France ou au gala de l'ADISQ.

David Laflèche pratique un métier rare au Québec: chef d'orchestre pour la télévision. Il s'agit d'un art en soi, qui demande autant d'aptitudes musicales que d'expérience en production télé.

Au tournant de la vingtaine, David Laflèche a fait un détour en comptabilité pour avoir de bonnes notes et s'inscrire en musique au cégep Saint-Laurent. «Mon père est mort et cela été un choc, raconte-t-il. Vers la fin, mon père était chef d'orchestre pour l'émission Bonjour matin avec Yves Corbeil et Marguerite Blais.»

Laflèche a interrompu ses études en musique pour se mettre à jouer dans les bars. C'est là qu'il a rencontré «quelqu'un qui connaissait quelqu'un qui connaissait quelqu'un» et qu'est venu un contrat à l'émission Fa si la chanter, animée par Patrick Bourgeois.

David Laflèche avait 24 ans. Il travaillait avec celui qui allait devenir son meilleur ami, Rémi Malo, sous la direction du vétéran-chef d'orchestre Charlot Barbeau. «J'ai fait mon latin à Fa si la chanter; on jouait 25 tounes par show et on enregistrait trois shows par jour.»

Ensuite, le producteur Alain Dagenais a parlé de David Laflèche à André Robitaille pour l'émission Les mordus. Laflèche s'est alors retrouvé en audition avec Rémi Malo et un autre acolyte, Gilbert Fradette. Les trois musiciens avaient préparé des morceaux, qu'ils ont fait entendre à André Robitaille. «Après, André nous a dit: «C'est bien beau votre affaire, mais faites-moi une version fuckée de La danse des canards?» Je me suis dit: «Qu'est-ce qu'on fout là?»»

Laflèche et ses deux amis ont finalement été embauchés. Chaque semaine, ils enregistraient cinq émissions en deux jours. «Cela a été une super école. J'ai appris à suivre l'animateur au lieu du réalisateur... André et moi sommes devenus de grands chums.»

Après Les mordus, Laflèche s'est retrouvé sur le plateau de Ce soir on joue, puis sur celui de Palmarès. «Il a fallu casser la réputation qu'ont les house bands de massacrer les tounes et de manquer d'intérêt», explique Laflèche, qui a complété à l'époque son équipe (Rémi Malo et Gilbert Fradette) avec le claviériste Daniel Thouin. «Il y a eu des histoires de gérants qui ne voulaient pas que leur artiste joue avec le house band, mais moi, je voulais leur montrer que nous étions jeunes et motivés.»

Laflèche a su gagner la confiance des artistes, puis il a fait le saut à Bons baisers de France. Il seconde aujourd'hui Pénélope McQuade.

Être «Joe Cool»

En accompagnant un artiste invité, Laflèche veut reproduire avec fidélité les arrangements du disque. «J'en ai réalisé, des albums, et je sais combien ça peut prendre de temps de créer tel effet, explique-t-il. C'est aussi pour réconforter l'artiste qui pourra se concentrer sur autre chose...»

Chef d'orchestre 101? Mettre les gens à l'aise et «être Joe Cool», répond David Laflèche. «Pénélope a plus de pression que moi... J'ai juste changé de couleur de stage», lance-t-il.

Aujourd'hui, Laflèche a un bras droit - Éric Senécal du groupe Villeray -, qui fait les arrangements et les partitions. Grâce à l'internet, tout se fait à distance. Le matin, Laflèche et ses musiciens ont les partitions sur leur lutrin. Ils se rencontrent à 10h à Radio-Canada. Le groupe se remue les méninges jusqu'à midi pour trouver des extraits de chansons ou des riffs qui serviront de transition musicale ou de walk-in (comme on dit dans le métier). «Il faut un lien avec l'artiste», explique Laflèche, qui doit user de créativité pour ne pas jouer d'extraits trop évidents d'une chanson et ainsi payer des droits d'auteur...

Vers 13h, il y a une répétition avec les artistes et une sorte de générale avec Pénélope McQuade. Les lundis et mercredis, deux émissions sont enregistrées, à 16h et 21h. Le jour de notre entrevue, Laflèche avait une journée plus courte, car Malajube était l'invité; ça faisait donc une répétition de moins.

Laflèche vante le talent de ses musiciens actuels, Alex McMahon et Gilbert Fradette, qui ont l'oreille absolue, et François Plante, qui a 10 ans de moins que lui, donc des références musicales différentes. «Il faut s'entourer de gens meilleurs que soi», dit-il.

Être chef d'orchestre pour la télé demande un grand répertoire et un talent de compositeur et d'arrangeur, mais aussi de l'expérience en télé. Laflèche et le réalisateur Jocelyn Barnabé n'ont plus besoin de se parler pour se comprendre, souligne-t-il.

Question de coûts, les orchestres sont de plus en plus rares au Québec. Il n'y a plus de late show (pensons à la relation entre David Letterman et son chef d'orchestre, Paul Shaffer). Comme c'est un métier réservé à une poignée de musiciens (Scott Price, Simon Gaudin, Luc Boivin, Guy Saint-Onge) et que cela nécessite une formation particulière, Laflèche aimerait donner au suivant.

En plus d'être chef d'orchestre pour les galas de l'ADISQ, le Gala Excellence La Presse ou encore la Soirée des Jutra, Laflèche bosse sur des projets personnels. Il a réalisé l'album de Julie Bélanger, il partage la scène avec Caracol, mais son dernier bébé est la bande originale du film Starbuck de Ken Scott, qui sortira cet été.

«C'est le rêve de tout musicien», dit-il.