«Le Saint-Graal du funk québécois!» ainsi qu'aiment la qualifier les disciples de cette bande sonore originale, à commencer par Félix B. Desfossés, DJ, blogueur, recherchiste et patron des Disques Pluton. Le label qu'il dirige avec sa copine lance samedi soir, au Divan Orange, la réédition de la trame sonore du film de «sexploitation québécois» Après-ski, réalisé en 1971 par Roger Cardinal.

La musique d'Après-ski a donné lieu à plusieurs mystères au fil des décennies. Malgré toutes les réponses que Desfossés a trouvées, le plus grand mystère de cette bande originale originalement parue sur les disques Trans-Canada demeure: comment un tel navet a bien pu accoucher d'une si brillante musique?

«Excellente question! Je pense que peu de tous ceux qui ont vu ce très mauvais film ont été conscients que la musique était si bonne. On a vraiment l'impression d'avoir retrouvé un trésor», croit Desfossés, pas peu fier de son coup.

Auteur d'un blogue de référence, ventedegaragepodcast.blogspot.com, le mélomane fait partie d'une communauté d'archéologues de l'histoire pop québécoise. Son devoir de mémoire sauve de l'oubli des groupes et leurs enregistrements tout aussi obscurs, que ces passionnés dénichent dans les bazars et les marchés aux puces. «J'ai réussi à mettre la main sur deux exemplaires originaux de la trame sonore d'Après-ski», dit-il.

Pas mal, étant donné la valeur dudit objet. Sur les sites de vente de collectionneurs à la eBay, une copie en bonne condition d'Après-ski va chercher dans les 350$... C'est dire l'intérêt qu'on porte à la face B de cet album, constitué de sulfureuses compositions funk instrumentales made in Québec... enregistrées par un orchestre composé d'Américains, d'Ontariens et de «pures laines». «Le film, on le connaît, mais la musique, elle, est à prendre au sérieux, insiste Desfossés. D'une qualité presque inégalée pour le Québec, à l'époque.»

Après-ski est devenu culte pour toutes les mauvaises raisons. Le scénario famélique. Les dialogues absurdes. Le jeu unidimensionnel des acteurs - à commencer par celui de Daniel Pilon, de marbre d'un bout à l'autre de la bobine. Sans oublier les Mariette Lévesque, Tamora et (surtout!) Céline Lomez flambant nues. Après-ski fut le seul film banni par une cour québécoise, ses bobines ayant été saisies auprès des distributeurs et projecteurs, ce qui a d'ailleurs contribué à sa «carrière internationale»...

Pendant des années on a cherché l'identité véritable du groupe derrière ces grooves. Félix B. Desfossés l'a trouvée par le plus heureux des hasards: «Sur Disques Pluton, notre première réédition fut un simple d'un Abitibien, Donald Seward, l'organiste de César et ses Romains. Avant ça, il jouait avec un groupe nommé Les Flaming Stars, puis The Jades.»

Dans les Jades, un certain Johnny Ranger, musicien ontarien originaire de North Bay qui avait migré en Abitibi pour travailler. C'est en faisant des recherches sur The Jades que Desfossés tombe sur le site web de Ranger... où ce dernier affirme être le compositeur de la musique d'Après-ski.

«Ça a été toute une surprise lorsque Félix m'a appelé», raconte John Ranger, qui se désole de ne pouvoir venir à Montréal pour assister au lancement du disque qu'il a composé, un concert le retenant à North Bay. C'est son groupe Illustration qui joue ses compositions, sans en être crédité.

Après l'escale abitibienne, Ranger s'était retrouvé en banlieue de Québec pour fonder Illustration, un orchestre de 11 musiciens. Vite, ils ont migré au sud, à Montréal, pour devenir l'orchestre maison du Esquire Show Bar, réchauffant la salle pour les King Curtis, Sam & Dave, James Brown et autres stars de la musique afro-américaine de l'époque.

«On a été découverts par un producteur américain, puis on a signé un contrat à New York avec Janus Records pour enregistrer notre premier album, qui avait eu de bonnes critiques à l'époque, dans le Rolling Stone, Variety...» Pour des raisons de visa de travail, Illustration a retraité pendant six mois à Montréal, où un certain Jacques Grenier les a approchés pour composer la musique d'Après-ski. «Mais à cause de notre contrat, on ne pouvait écrire que c'est Illustration qui a fait la musique.» Le nom de Grenier apparaissait donc au générique.

Les chansons ont été enregistrées en un après-midi, au studio RCA, à Montréal. Le groupe Illustration n'a jamais connu la gloire, ayant été abandonné par son manager... La trame sonore, originalement éditée par Trans-Canada, a vite été oubliée, noyée dans le scandale provoqué par la sortie du film.

John Ranger, comme Félix. B Desfossés, est dépassé par l'intérêt qu'on porte à nouveau pour cette trame sonore. Les exemplaires vinyles sont déjà tous vendus, une édition CD sera bientôt chez les disquaires. Pas de mystère là: cette musique est célèbre.

Ah! Et qui était donc Diane Huggan? «Mon ex-femme, dit John Ranger. J'avais mis son nom pour les droits d'auteurs, mais je n'ai jamais reçu un sou...»