Deux Félix pour leur premier album Lever l'ancre (2007) et quelque 220 spectacles plus tard, David Bussières et Justine Laberge, alias Alfa Rococo, sont de retour avec un nouvel album électro-pop, dont le titre est tout un programme : Chasser le malheur !

La nervosité de David Bussières et Justine Laberge est palpable: lancer un album après un premier disque qui a eu du succès, c'est stressant. Lancer un album de pop accrocheuse, à la fois efficace et intense, dansante et engagée, sautillante et sombre, ça l'est aussi.

Mais ça l'est peut-être encore plus quand on a vécu pendant plusieurs mois «en respectant nos horloges biologiques», pour reprendre les mots de David Bussières: «Après la tournée sans arrêt (220 représentations, dans toutes sortes de contextes!) et les spectacles en Europe, on s'est payé le luxe extrême: celui d'être libres de notre temps, être pendant presque un an en observation tranquille. On a eu l'impression de descendre d'un TGV: quand tu es à l'intérieur d'un train grande vitesse, les choses ne défilent pas si vite que ça si tu regardes par la fenêtre, mais quand tu es le long de la voie, tu constates qu'il roule vite en cibole, le train,» reprend le multi-instrumentiste.

Cette pause leur était indispensable pour concevoir un nouvel album où on reconnaît instantanément la signature musicale du duo, à commencer par ce timbre vocal très particulier qui naît de leurs deux voix à l'unisson.

Mais cette fois, la facture musicale est plus électro que psychédélique - comme étaient d'ailleurs plus électro-pop leurs spectacles. Ce n'était donc pas la quête d'un son singulier qui les tenaillait: le duo (qui est aussi un couple) travaille dans son propre studio de façon très poussée avant de confier son travail à un réalisateur: cette fois-ci, c'est Cristobal Tapia de Veer du studio TroubleMakers, en collaboration avec David, qui a réalisé et mixé l'album. «Cristo ne mixe pas en moumoune, on aime ça.»

Société des loisirs

Ce qui les angoissait, c'était... tout le reste. «C'était assez effrayant parce qu'on n'avait strictement rien, explique Justine, sinon deux riffs de guitare que David jouait toujours aux soundchecks et un sujet, la société des loisirs.» Les deux riffs de guitare sont devenus les ossatures des chansons Météore et Rêve américain.

Et la société des loisirs est bel et bien devenue la ligne directrice des textes, et même une chanson à part entière. «Ça remonte à mes années du secondaire où un élève avait fait un exposé en classe sur la société des loisirs, explique David Bussières, une société où on ne travaillerait que deux heures et on aurait plein de temps libre, ça m'avait impressionné. Mais avoir des loisirs, aujourd'hui, c'est une «job» à temps plein: t'es dans l'obligation de suivre telle télésérie, de tenir ton compte Facebook à jour, d'avoir écouté telle ou telle affaire. On a le cerveau overloadé, au point que, pour décrocher, on a besoin du plus gros trip possible...»

À partir de cette idée («c'est la première qu'on a eue, mais c'est la dernière chanson qu'on a finie!»), David et Justine ont concocté un album fait pour danser intelligent: ça groove, c'est up tempo, c'est rempli de sons de synthés, mais ça parle de renaître de ses cendres, de rêve américain siliconé, d'agir en électron libre, de n'être qu'un petit soldat de plomb de plus... Et ça inclut un instrumental en plein milieu pour respirer un peu («C'est notre chien-saucisse Juju qui «chante,» explique Justine!) et une reprise du Poinçonneur des Lilas de Gainsbourg, en version électro, métissée avec le thème des films de James Bond!

«À nos tout débuts, on faisait de la musique dans des 5 à 7, avec Justine à l'accordéon et à la voix et moi à la guitare et aux choeurs, explique David, et on chantait Le poinçonneur des Lilas. Quand on est allés à Paris, on est descendus à la station des Lilas, qui est très profonde, et on s'est rendu compte à quel point cette chanson était contemporaine, à quel point elle parlait du travail qui rend fou, de la cadence insupportable des jours... On l'a d'abord jouée live avec notre groupe, et on a eu envie de l'enregistrer, avec des arrangements qui nous correspondent.»

«On a lu beaucoup pour ce disque, écrit beaucoup, joué avec les mots, Justine chez nous, moi au café, conclut David, et on réalise qu'on est chanceux d'être deux: on est le premier public l'un de l'autre.» «Et on ne se ménage pas, on se rentre un peu dedans, reprend Justine. Ce qui était le plus difficile, mais le plus important, pour nous, c'était de faire notre musique sans penser à ce que les autres vont en penser, en se faisant confiance à nous. On est dans un univers qui souffre du syndrome de la zapette, tout le monde change tout le temps de chaîne, de musique, d'idée. Pour Chasser le malheur, on a essayé de demeurer focussés».

ÉLECTRO-POP

ALFA ROCOCO

CHASSER LE MALHEUR

TACCA/UNIDISC

EN MAGASIN LUNDI