Représentant d'une génération de musiciens touche-à-tout et débrouillards, Jérôme Dupuis-Cloutier a multiplié les projets et les collaborations avant de se concentrer sur Gentleman refroidi, son premier album solo. Révélation: derrière le frontman du projet Le Citoyen, derrière les folies cégépiennes du groupe rock Le Roi Poisson, se dissimulait un auteur-compositeur-interprète lucide et sensible aux traditions de la chanson d'ici.

«Si mes chansons pouvaient jouer à RockDétente?» Dupuis-Cloutier détourne le regard et esquisse un sourire: «J'imagine, oui», échappe-t-il avec sa voix grave et posée. «Ça se peut. Ce n'est pas fait en pensant à ça, mais ça se pourrait.»

Gentleman refroidi est un étrange titre pour le premier album d'un artiste qu'on découvre. Forcément, on a tendance à croire que ça le décrit, même s'il assure que la chanson du même titre dépeint plutôt un ami. Il reste tout de même l'impression, après cette conversation autour d'un café, que le jeune homme de 23 ans est tel que dans l'intitulé: courtois, articulé et terre à terre. En connaissant ses précédentes incarnations musicales, ça surprend.

Il y a deux ans, concurrent des Francouvertes, Dupuis-Cloutier était alors Le Citoyen, pourvoyeur d'une chanson Rive Gauche/Canton-de-l'Est - lui qui est originaire de Sherbrooke. Le multi-instrumentiste grattait ses compositions un peu rock, enduisait certaines mélodies de son instrument fétiche, la trompette, pour lui donner une couleur «viannesque» détachée et amusée. Puis, à l'autre bout du spectre musical, le groupe Le Roi Poisson, spontané et exutoire exercice de hard rock progressif aux textes loufoques.

«Le Citoyen, Le Roi Poisson, mon rapport là-dedans n'était pas clair dans la tête des gens. Jérôme Dupuis-Cloutier, ça trace les frontières, c'est moins compliqué, mais tout ça est la continuité du Citoyen: mes compositions à moi tout seul, mon intimité. J'avais le goût d'assumer que c'était un projet d'auteur-compositeur.»

Écurie Indica

C'est par l'éclaté Roi Poisson qu'est arrivé Jérôme Dupuis-Cloutier au sein de l'écurie Indica, d'ailleurs: «Le label était intéressé par le projet d'un nouvel album du groupe. Moi, j'étais déjà dans l'enregistrement d'un album solo, aux trois quarts terminé, avec mon frère Étienne», jeune musicien et réalisateur de plus en plus en vue sur la scène (il signe la réalisation du nouveau minialbum de Grenadine). «Indica a embarqué, même si ça retardait la sortie du disque du Roi Poisson...»

Bien vu. Ce disque-là est un petit bijou. La plume est encore verte, mais elle témoigne du potentiel de Jérôme. La facture, par contre, est mûre: arrangements d'une redoutable simplicité, mélodies fort bien écrites, belles couleurs d'une chanson classique et intemporelle. Le ton est direct, l'émotion est sincère. On écoute en se disant: pas possible qu'il n'ait que 23 ans, le gentleman, qui fait sérieusement son métier depuis déjà cinq ans.

«Je ne suis pas encore assez mature pour prétendre pouvoir rejoindre des auditeurs de toutes les générations, mais c'est ce que je cherche. Faire un album qui traverse bien les années. De la bonne chanson québécoise, j'avais le goût de faire ça», dit l'admirateur de Jean-Pierre Ferland.

«Tout ça à cause de lui, poursuit-il. Ses vieux albums, Jaune, Soleil, Les vierges du Québec, des classiques, on s'entend. Il n'a pas de complexes avec les mots, ni avec les saveurs musicales qui se mélangent sur ces albums. Il expérimentait encore plus dans les paroles, je crois. Pour moi, c'est ça, la chanson québécoise. J'ai l'impression qu'il n'avait pas peur de déplaire.»

Ni de plaire au plus large auditoire possible, aussi. Jérôme Dupuis-Cloutier sera en concert demain soir au Divan Orange, à l'affiche de la soirée Estrie de la série Écho des régions, avec B.e.t.a.l.o.v.e.r.s et Grosse Distortion, groupe rock qui compte en ses rangs deux membres du collectif d'humoristes Les Appendices et deux autres de Misteur Valaire.