Peter Gabriel sait trop bien que son nouvel album Scratch My Back, une collection de chansons empruntées à d'autres artistes et reprises avec un grand orchestre, et le concert qui en est inspiré peuvent être perçus comme difficiles. «Ce ne sont pas des chansons pop», a convenu Gabriel en conférence de presse au Centre Bell, quelques heures avant le premier de deux spectacles présentés en première nord-américaine au Centre Bell, mercredi et jeudi. «Ceux qui sont prêts à me suivre dans cette aventure semblent l'apprécier, a-t-il ajouté. Mais ce n'est pas pour tout le monde.»

L'artiste de 60 ans, adulé par le public québécois depuis sa période Genesis, ne fait pas des reprises pour le plaisir de la chose. Ces chansons de Bowie, Paul Simon, Arcade Fire ou Bon Iver, il a voulu les transformer en leur donnant un traitement parfois très sombre. Il craignait qu'une chanson axée sur le groove comme Listening Wind, de Talking Heads, ne résiste pas à une adaptation orchestrale, mais il croit avoir gagné ce pari. L'album Scratch My Back, constate-t-il avec le recul, traite de l'amour, de la mort - «avec un peu de sexe entre les deux» - mais aussi du terrorisme dans des chansons comme Listening Wind justement et Boy in the Bubble de Paul Simon.

Le concept de départ en était un d'échange, les artistes «repris» empruntant à leur tour une chanson de Gabriel sur un album à venir. Ce projet s'annonce plus difficile que prévu. La moitié du disque est enregistrée - Gabriel cite une version de I Don't Remember par David Byrne qu'il vient de recevoir, Solsbury Hill par Lou Reed, Biko par Paul Simon, Come Talk To Me par Bon Iver et celle qui l'étonne le plus, Not One of Us par Stephin Merritt (The Magnetic Fields) - mais il n'est pas assuré que les autres vont se commettre à leur tour: Arcade Fire est occupé à son prochain album, on raconte que Bowie ne chante plus et Radiohead n'est peut-être plus intéressé même si Thom Yorke avait donné son assentiment. «Je lui ai envoyé la musique de Street Spirit et je n'ai plus entendu parler de lui par la suite, raconte Gabriel. Peut-être sommes-nous allés trop loin (dans cette version).»

Dans son spectacle, après avoir joué dans l'ordre les chansons de Scratch My Back, Gabriel poursuit avec des morceaux choisis de son propre répertoire également soumis au traitement orchestral. Certaines chansons, comme The Rhythm of the Heat, en ressortent transformées, dit-il. D'autres, par contre, ne sont pas encore au point: «Hier encore, on a travaillé sur Red Rain. Si John (Metcalfe, l'orchestrateur) la termine ce soir, on la jouera peut-être demain.»

Gabriel n'a donné ce spectacle que dans trois capitales européennes et son itinéraire nord-américain ne comprend, outre Montréal, que New York et Los Angeles. Il est question de quelques autres concerts à l'automne, mais ce papa de jeunes enfants veut se consacrer à d'autres projets. Il ne dit pas non à un autre album de reprises, plus axé sur les rythmes, mais il veut surtout travailler à un album de chansons originales, lui qui ne nous a vraiment pas gâtés à ce chapitre depuis longtemps. Oui, reconnaît-il, l'auteur-compositeur en lui a souffert du syndrome de la page blanche: «J'ai laissé beaucoup d'idées en studio, qui ne sont pas achevées. Il faut que je me botte le derrière. Ça sera mon prochain projet. J'ai hâte.»

Gabriel n'aura pas le temps d'aller voir Totem du Cirque du Soleil, une création de son ami Robert Lepage. Mais il doit déjeuner avec lui jeudi matin. Il aimerait bien travailler de nouveau avec le metteur en scène québécois, qui avait monté son spectacle du début des années 90, mais ils n'ont aucun projet précis.

Gabriel savait que pendant son concert au Centre Bell, mercredi, des spectateurs allaient sans doute suivre sur leur téléphone le déroulement match Canadien-Washington: «On m'a averti que si les gens se mettent à crier, ça n'aura rien à voir avec moi!»