Dans un geste réclamé par les autorités policières et gouvernementales, les deux plus importantes stars du dancehall jamaïcain, Mavado et Vybz Kartel, sont apparues ensemble sur une scène de West Kingston, dimanche soir dernier, à la surprise de leurs fans respectifs. Les deux grands rivaux signifiaient ainsi la nécessité d'une trêve pour que cesse la quasi guerre civile qui oppose leurs supporteurs respectifs. Histoire d'une guéguerre musicale devenue crise nationale.

Il s'agit du geste de paix le plus significatif en Jamaïque depuis le One Love Peace Concert d'avril 1978. Bob Marley avait alors invité à la réconciliation les rivaux politiques Michael Manely (du People's National Party) et Edward Seaga (du Jamaican Labour Party) à se serrer la main devant 32 000 spectateurs. soit dit en passant, le ministre de l'Information Daryl Vaz a confirmé mercredi dernier qu'un «concert de la paix» réunissant Mavado et Vybz Kartel serait bientôt organisé.

 

Le geste était devenu nécessaire devant la montée de violence généralisée entre les adhérants aux «tribus» rivales, Gully, associée à Mavado, et Gaza, à Vybz Kartel. Mardi dernier, les deux artistes ont été convoqués au bureau du premier ministre Bruce Golding, à la demande de celui-ci, pour qu'ils conviennent tous deux de cesser les hostilités verbales par l'entremise de leurs chansons et les médias. Les ministres de la Sécurité nationale et de l'Éducation, ainsi qu'un influent évêque, ont également assisté à la rencontre.

La rivalité, très médiatisée, a pris des proportions démesurées qui inquiètent la population et mettent les autorités sur les dents. Au cours des derniers mois, l'île a été tapissée de graffitis identifiant les quartiers aux deux clans rivaux. Dans les régions les plus chaudes, les autorités ont associé une recrudescence de gestes violents à la rivalité entre les deux musiciens; on craint justement que cette année, le nombre de meurtres commis en Jamaïque dépasse les 1650, en hausse par rapport à 2008.

La guerre Gaza-Gully a aussi atteint les écoles où des revendeurs illégaux faisaient le commerce d'écussons et de drapeaux à l'effigie des stars. Même le sprinter Usain Bolt a commis l'impair - pour un modèle de sa stature - de s'immiscer dans le conflit, avouant sa préférence pour Vybz Kartel!

Le «clash» du siècle

Les rivalités - les «clashs» - font partie intégrante de la culture dancehall, comme dans le hip hop d'ailleurs, à l'image de la tragique mais légendaire rivalité entre les rappeurs Tupac (côte Ouest) et Notorious B.I.G. (côte Est). Celle opposant les clans Gully et Gaza a germé il y a près de trois ans, par une poignée de chansons dénigrant l'adversaire.

Dans le coin gauche, le sing-jay (chanteur plus que rappeur) Mavado, personnalité forte à la voix mélancolique et grave et aux thèmes souvent violents, auteur du hit Neva Believe You (pour ne nommer que lui), l'une des chansons marquantes de l'année dancehall. Dans le coin droit, le controversé deejay Vybz Kartel, habile rimeur à l'énergie qui contraste avec celle de son adversaire. Son succès marquant? La salace, presque pornographique, Ramping Shop, qui a par ailleurs forcé le gouvernement à bannir des ondes les chansons à caractère sexuel.

La dangereuse rivalité a gagné en importance il y a un an, lors du légendaire événement annuel Sting, organisé le lendemain de Noël. Cette grande fête dancehall est l'arène de toutes les rivalités, le spectacle où sont faites, et défaites, des carrières et des réputations.

Or, à la suite d'un verdict partagé, Mavado avait été donné vainqueur du clash contre Vybz Kartel, qui s'était employé dans les semaines suivantes à raviver les hostilités. Cette année, les organisateurs de Sting, sous la pression de la police, ont menacé de ne pas les inviter s'ils n'en venaient pas à un véritable «accord de cessez-le-feu».

Au cours des derniers mois, les deux protagonistes de la guerre Gully-Gaza avaient timidement condamné les actes de violence attribués à leur rivalité musicale, soulignant plutôt qu'entre eux, aucun geste physique n'avait été commis. «Tout ça n'est que de la musique, a déploré Mavado, et je regrette que certains fans aient pris ça trop au sérieux.»