MC Balo avait pourtant tourné le dos à la musique il y a quatre ans, après avoir quitté le collectif hip-hop belge Starflam. C'est sa mère, qu'il n'avait pas vue depuis 25 ans, qui l'a poussé à écrire L'Hôtel Impala. Depuis, le rappeur a repris son nom, Baloji, et la place qui lui revient sur la scène musicale.

Au bout du fil, Baloji, 30 ans, Congolais d'origine, qui considère Liège, la Cité ardente, comme son port d'attache, raconte, en pesant chacun de ses mots, la touchante histoire qui est devenue l'élément déclencheur de L'Hôtel Impala.«J'ai reçu un e-mail de ma mère il y a un an et demi, peut-être deux ans, dit-il. Je n'étais plus en contact avec elle depuis 25 ans - je n'ai même pas de souvenirs concrets d'elle, que des bribes, quelques images, je ne connais même plus son visage. Sa lettre m'est arrivée par des Congolais en vacances ici. Ils ont mis beaucoup de temps pour réussir à me joindre... Sa lettre m'a bouleversé. Elle me demandait que je lui raconte ma vie. Je n'ai pas su comment répondre, je ne trouvais pas les mots.»

Il a d'abord cru à un canular. Ça aurait pu être n'importe qui, un profiteur. «Mais elle connaissait des détails de ma vie qu'elle seule savait, comme ma véritable date de naissance.» Après le courriel initial, la mère et le fils se sont parlé au téléphone. Encore, il n'avait pas de mots pour lui raconter sa vie. «Elle m'a dit qu'elle m'avait vu à la télévision, sur une chaîne africaine.»

Né au Congo-Kinshasa, Baloji, enfant, suit son père en Belgique, dans la ville portuaire d'Ostende, pour être exact, et parce que le détail a son importance. «Ma mère m'a dit qu'elle avait toujours su que je ferais de la musique puisque mon père m'emmenait «au pays de Marvin Gaye».

La Belgique, pays de Marvin Gaye? Eh oui: en 1981, Gaye, fortement endetté, divorcé (de sa femme et de sa maison de disques, car il avait rompu avec Motown), gravement toxicomane, se coupe du monde. Il habite Ostende, où il composera son chant du cygne, l'album Midnight Love, sur lequel on retrouve le succès Sexual Healing.

Le fantôme de Marvin Gaye plane sur certaines compositions plus soul de L'Hôtel Impala, de la même manière que les références aux musiques africaines donnent une couleur à la fois cosmopolite et personnelle à cet album que Baloji qualifie d'«autobiophonie».

«Cette anecdote a énormément de sens et de force à mes yeux. L'occasion que mon père m'a donnée, celle d'aller habiter en Europe, devient une image aussi forte que mon parcours, de l'Afrique à Ostende... Si je n'ai su comment raconter ma vie à ma mère, j'ai fini par le faire sur cet album.»

Intimiste dans le propos mais totalement généreux sur le plan des arrangements et de l'interprétation, L'Hôtel Impala passe pour un des meilleurs albums hip-hop/groove à venir d'Europe depuis un certain temps. La plume de Baloji est tantôt fragile, tantôt cinglante (la chanson Tout ceci ne vous rendra pas le Congo, qui est en fait une expression typiquement belge) et transporte l'auditeur dans le monde de cet immigré africain à travers sa Belgique (la chanson triptyque Liège Bruxelles Gand), tout en gardant un oeil sur les racines musicales congolaises.

«Je reviens de Kinshasa, où j'ai enregistré avec des musiciens de là-bas de nouvelles versions des chansons de L'Hôtel Impala. Cette version revisitée de l'album s'appellera Kinshasa succursale - façon rumba, soukouss, avec instruments traditionnels, des rappeurs de la région, des chorales, des joueurs de balafon... Ça va être fabuleux, je vais encore plus loin dans les racines congolaises.» Si tout va bien, l'album sera dans les bacs en février prochain.

En attendant, cet Hôtel Impala que Baloji et ses musiciens viennent nous présenter jeudi soir prochain au Cabaret Juste pour rire (avec Samian en première partie) arrive auréolé de deux prix Octave (les Félix de la Communauté francophone de Belgique) pour l'album de l'année et l'album Chanson française de l'année. À l'occasion du Coup de coeur francophone, on lui remettra aujourd'hui le prix Rapsat-Lelièvre, qui récompense en alternance un artiste québécois et un artiste belge, pour la qualité de son album.