Achat de photos à un vendeur de drogue, embauche de la journaliste-vedette du concurrent, chasse aux scoops... Le nouveau patron du Globe and Mail affiche un style plus agressif que celui de son prédécesseur dans la couverture de l'affaire Rob Ford. Est-ce le début d'une nouvelle guerre des journaux à Toronto?

Depuis un an, le Toronto Star - le quotidien le plus lu dans la métropole, devant le Toronto Sun et le Globe and Mail - mène la course dans la couverture de ce qu'il est convenu d'appeler «la saga Rob Ford». Grâce au tandem de journalistes formé de Kevin Donovan et Robyn Doolittle, le Star a été le premier journal, en mai 2013, à révéler l'existence d'une vidéo montrant le maire fumant du crack. Mais voilà, le Globe and Mail vient d'embaucher la journaliste-vedette Robyn Doolittle et le nouveau patron du journal, David Walmsley, vient d'accepter de verser 10 000$ à un vendeur de drogue pour obtenir des images qui montrent le maire en train de fumer du crack dans le sous-sol de la maison de sa soeur.

À Toronto, on n'a pas vu une telle concurrence depuis que Conrad Black a lancé le National Post. La rivalité est à ce point vive qu'hier soir, le patron du Star Michael Cooke, mauvais joueur, a laissé entendre que de Donovan et Doolittle, c'est le premier qui avait fait 90% du travail d'enquête sur Rob Ford... Ouch!

«C'est grâce à Rob Ford s'il y a une concurrence aussi vive, se réjouit Jeffrey Dvorkin, directeur du programme de journalisme à l'Université de Toronto Scarborough. Il y a toujours eu une tension entre les journaux de Toronto, mais là, elle est montée d'un cran.»

«Je ne parlerais pas de guerre, car c'est le Star qui a mené l'histoire de Rob Ford. Le Globe n'était même pas dans le portrait», nuance pour sa part Anne McNeilly, qui enseigne le journalisme à l'Université Ryerson. «Il y a eu de gros changements au Globe, je suis ravie de voir qu'ils sont de retour dans la business des nouvelles», ironise-t-elle.

Outre le changement de direction du Globe, Jeffrey Dvorkin note que «les principaux journaux de Toronto sont désormais dirigés par des Britanniques». Le Star et le Sun sont dirigés par des Anglais et le Globe par un Irlandais. «Il y a un petit air de Fleet Street [la rue des journaux à Londres] qui n'est pas désagréable, note-t-il. Mais il y a malheureusement un côté négatif: un style tabloïd qui entraîne les journaux vers le bas.»

Payer pour de l'info

Un an après le Star, c'est en effet au tour du Globe d'accepter de payer pour obtenir une information (ce qui contrevient aux règles de déontologie journalistique), dans ce cas-ci des images incriminantes de Rob Ford, pipe de crack à la main.

Le patron du Globe and Mail, David Walmsley, se justifie en affirmant que l'intérêt public commandait d'acheter et de publier ces photos. «Ce n'est pas une expérience agréable de faire ce que nous avons fait, explique-t-il en entrevue à La Presse, mais nous, les médias, faisons face à un déficit de confiance. Les gens ne croient pas ce que les journalistes disent avoir vu. La seule façon de s'en sortir était de montrer les images.» Mais toutes les justifications du monde ne convaincront pas Jeffrey Dvorkin, de l'Université de Toronto. «Quelqu'un avec l'autorité morale nécessaire aurait dû dire au Globe que ça ne se fait pas. Oui à la concurrence, mais pas au détriment de l'éthique.»