La décision du tabloïd britannique la plus vendu, The Sun, de publier vendredi les photos dénudées du prince Harry contre la volonté de la famille royale montre qu'il est décidé à combattre plus vigoureusement la réglementation mise en place dans les médias dans la foulée du scandale des écoutes téléphoniques de News of the World.

Jeudi, après avoir été contactés par la Press Complaints Commission (PCC), l'organe de contrôle de la presse, les journaux britanniques s'étaient abstenus de publier les photos sulfureuses montrant le jeune prince, troisième dans l'ordre de succession au trône, s'ébattant nu avec des amis dans un hôtel de Las Vegas.

Mais le tabloïd a défié l'injonction de la commission et publie les photos qui circulaient déjà largement sur l'internet dans son édition de vendredi, indiquant dans un communiqué publié jeudi que ses lecteurs avaient «le droit de les voir».

«Ce sont des raisons qui vont au-delà de cette simple histoire», explique le tabloïd du groupe Rupert Murdoch.

Au Palais St James, un porte-parole de la famille royale a déclaré un peu plus tard: «Nous avons fait part de notre point de vue sur la protection de la vie privée du prince Harry. Les journaux se réglementent eux-mêmes, c'est pourquoi la publication des photos est du ressort ultime des éditeurs».

Les deux clichés sulfureux du cadet du prince Charles, photographié nu ce week-end en pleine euphorie à Las Vegas lors d'une partie de «strip-billard», avec une ou deux jeunes femmes également déshabillées, étaient visibles aisément sur internet jeudi, notamment sur le site américain TMZ qui les a révélées. Mais pas dans les médias britanniques, papier ou internet.

Seul le blog politique britannique Guido Fawkes les a publiées, osant défier la demande officielle de la famille royale, qui a souligné que la publication de ces photos serait une atteinte au droit du prince à sa vie privée.

La plupart des journaux soulignent le paradoxe de voir ces photos s'étaler sur de nombreux sites de médias étrangers, «y compris des médias respectables», observe le Sun, le Times citant RTL en France ou CBC au Canada. «Ces photos sont vues par des millions de gens sur internet, mais le palais les interdit au Royaume-Uni», résume le Daily Mail.

Le blog Guido Fawkes en revanche réagit vivement: «Cette situation illustre la menace sur la liberté de la presse en Grande-Bretagne. La vérité est que la peur fait se soumettre les médias traditionnels à cause de l'enquête Leveson».

Cette commission d'enquête sur l'éthique de la presse, dirigée par le juge Brian Leveson, qui doit rendre son rapport à la fin de l'année, a été mise en place en juillet 2011 par le premier ministre David Cameron, à la suite du scandale d'écoutes illégales de célébrités par l'hebdomadaire News of the World (NotW), qui a dû depuis fermer ses portes.

«Les règles anciennes ne marchent pas à l'ère d'internet», remarque Guido Fawkes.

La presse britannique ménage la famille royale depuis la mort de Diana, la mère de Harry, en 1997. Cependant, «avant l'enquête Leveson, l'histoire aurait été dans tous les tabloïdes», renchérit auprès de l'AFP Gary Horne, directeur des études en journalisme au London College of Communication. «L'un d'eux aurait acheté les photos et elles n'auraient pas été sur internet, le Sun par exemple aurait publié sept ou huit pages de photos exclusives», avance-t-il.

Mais dans le climat actuel, souligne-t-il, «la plupart de ces tabloïdes craignent de fâcher tout ce qui a du pouvoir parmi les célébrités ou la famille royale (...) et font tout pour ne pas contrarier Leveson pendant qu'il rédige son rapport».

Un ancien responsable de NotW, Neil Wallis, estime aussi qu'aujourd'hui, «les journaux sont terrifiés par leur ombre». Même réaction de Kelvin MacKenzie, ancien responsable du Sun, autre fleuron de l'empire Murdoch: «Le prince est célibataire, et s'amuse avec des dames qui le veulent bien. Le seul problème, c'est Leveson».

Harry, largement épinglé par la presse lors de précédentes frasques, comme son déguisement en officier nazi en 2005, se sort plutôt bien de cette affaire, les journaux blâmant davantage ses officiers de sécurité qui ont laissé prendre ces photos.

Beaucoup rappelaient jeudi que ce prince charmeur de presque 28 ans, pilote d'hélicoptères brûlant de retourner sur le front afghan, avait très honorablement représenté sa grand-mère la reine Elizabeth II récemment, notamment en mars lors d'une tournée aux Caraïbes, ou ce mois-ci à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques.