«Tout le monde a son 12 janvier à raconter», lance Pierre Emmanuel, journaliste et rédacteur en chef de CPAM, radio ethnique de langue française de Montréal.

Son 12 janvier à lui s'est passé dans les locaux de la station de radio, rue Jarry, à coordonner l'arrivée d'informations sur le séisme qui secouait Haïti tout en se demandant si ses parents étaient encore en vie. L'angoisse.

Il n'était pas à la radio vers 17h, lorsque l'onde de choc du séisme a atteint le Québec. Il se trouvait à l'université, où il suit des cours en pédagogie. «Dès que j'ai su, je me suis immédiatement rendu dans nos locaux», raconte Pierre Emmanuel, qui anime également Réveil Matin, émission quotidienne matinale, en plus de préparer le bulletin d'informations quotidiennes de 20 h.

«Les premières nouvelles qui entraient n'annonçaient rien d'aussi terrible, se souvient le journaliste, un an plus tard. Les informations entraient au fur et à mesure. Le système téléphonique était tombé, les contacts étaient très difficiles.»

Rapidement, CPAM est devenu un véritable carrefour pour la communauté haïtienne montréalaise. «Les gens étaient chez eux, ils n'avaient pas de nouvelles de leurs proches, ils étaient inquiets, ils avaient besoin de parler, d'échanger», explique Pierre Emmanuel. Ils arrivaient effondrés. Il fallait donc, en plus de faire notre travail journalistique, avoir le temps d'écouter les gens et de les aider à raconter leur histoire en ondes.»

Pierre Emmanuel, qui est également blogueur pour le quotidien gratuit Métro, compte plus de 25 années d'expérience en journalisme. Il en a vu d'autres. «Je suis habitué à gérer des crises avec les moyens du bord», reconnaît-il. Ancien rédacteur en chef de Radio Haïti-Inter, il a souvent travaillé dans des conditions difficiles. «J'ai débuté en journalisme très jeune, à l'âge de 18 ans. J'étais en ondes quand le journaliste Jean Léopold Dominique s'est fait abattre devant les locaux de la radio, en 2000, raconte-t-il. La pause publicitaire venait de se terminer lorsque j'ai entendu les coups de feu. Quand je suis arrivé, j'ai découvert son corps et celui d'un gardien... J'ai également travaillé sous la dictature militaire. Bref, j'ai vécu beaucoup de choses, mais jamais rien comme le séisme du 12 janvier.»

«J'aurais aimé être sur place pour donner des informations et raconter l'histoire, poursuit le journaliste. L'être humain en moi aurait aimé y être pour porter secours, pour aider les siens. À distance, on ressent un sentiment d'inutilité terrible... Finalement, j'ai rapidement trouvé les moyens de compenser cette impuissance en travaillant. Cela m'a donné le sentiment d'être utile.»

Les informations arrivant au compte-gouttes, Pierre Emmanuel et son équipe ont dû faire appel à leurs nombreuses relations dans la diaspora haïtienne afin d'en savoir un peu plus sur ce qui se passait réellement à Port-au-Prince et ailleurs en Haïti. «Très tôt dans la soirée, des amis aux Nations unies m'ont dit que l'hôtel Christopher s'était effondré. C'est là que se trouvaient leurs employés. Dès les premiers moments, nous avons créé une chaîne pour faire circuler l'information. Nous étions une dizaine à faire des appels, à consulter Twitter, etc. Nous avons quitté les ondes vers 1h du matin et nous avons repris le micro très tôt le lendemain, pour continuer.»

Pendant plusieurs jours, Pierre Emmanuel et ses collègues ont été à la station presque 24 heures sur 24. Parallèlement au travail journalistique, le journaliste d'expérience, toujours sans nouvelles de ses proches qui habitaient à Port-au-Prince, devait gérer sa propre angoisse. «Je ne dormais pas, j'étais très inquiet», avoue Pierre Emmanuel, qui a finalement pu parler avec ses parents, sains et saufs. Les deux maisons familiales s'étaient effondrées, mais sans faire de victimes. Il a toutefois perdu un neveu à la suite de l'effondrement de son école.

En juin dernier, Pierre Emmanuel est retourné en Haïti pour voir par lui-même les ravages du séisme, faire la paix avec sa ville et revoir les siens. «Là-bas, les médias sont à peu près tous revenus à la normale, affirme-t-il. Les locaux de Radio Haïti-Inter sont fortement endommagés. Pendant des semaines, des stations ont dû diffuser à l'extérieur des bâtiments tellement leur situation était précaire. Ensuite, le gouvernement a fourni une aide financière aux médias, et l'UNESCO a offert une aide technique. Aujourd'hui, tout le monde diffuse et publie malgré les conditions très difficiles.»

Malgré son grand amour pour Haïti, c'est à Montréal que Pierre Emmanuel continue à pratiquer son métier. En espérant ne plus jamais avoir à couvrir une telle tragédie.

Il y a un an aujourd'hui

Ce sera une journée particulière, aujourd'hui, sur les ondes de CPAM (1610 AM). En plus d'une tribune téléphonique durant laquelle les auditeurs seront invités à témoigner, la station de radio organise une messe à l'oratoire Saint-Joseph à 17 h pour commémorer la tragédie. Dès 15 h, CPAM diffusera simultanément avec la Première Chaîne de Radio-Canada l'émission Désautels en direct de la Maison d'Haïti, en compagnie de Jean Ernest Pierre, collègue de Pierre Emmanuel à la radio haïtienne CPAM.