Les lecteurs de L'actualité connaissent bien la signature de la rédactrice en chef, Carole Beaulieu, auteure d'un billet publié au début de chaque numéro. Depuis le 18 juin dernier, la voilà également éditrice de ce magazine, qu'elle connaît comme le fond de sa poche puisqu'elle y a travaillé comme reporter durant neuf ans. À la tête de la rédaction depuis 1998, Mme Beaulieu s'est vu proposer le poste d'éditrice à quelques reprises avant d'accepter de plonger. «Je me suis dit que, à un moment donné, il faudrait bien que je saute, et ce moment était arrivé», raconte celle qui a vu passer trois éditeurs depuis le départ de Jean Paré, dont le nom est intimement associé à l'histoire de ce magazine. «J'avais aidé les éditeurs précédents, je me sentais prête. Ma fille est plus grande, j'ai un conjoint qui assure à la maison et, surtout, j'étais entourée d'une équipe solide. Je n'avais pas l'impression de devenir l'aveugle qui allait diriger les borgnes.»

Récemment, Carole Beaulieu a géré la «crise du Bonhomme» après que le magazine Maclean's eut consacré le Québec «province la plus corrompue du pays». La nouvelle éditrice a dû faire face au mécontentement des lecteurs québécois, courroucés, mais elle assure que, à l'intérieur de Rogers, l'entreprise propriétaire des deux publications, il n'y a pas eu de drame. «Nous avons voulu réagir parce que nous n'étions pas d'accord avec les faits, indique-t-elle. J'ai écrit à mon homologue torontois pour lui demander un espace de réplique équivalent à celui du chroniqueur Andrew Coyne. Il m'a répondu: «We would love to.» C'est tout.»

En choisissant Carole Beaulieu comme éditrice de L'actualité, l'entreprise adhérait à sa vision de l'avenir du magazine. À l'heure de l'internet et de l'iPad, la nouvelle éditrice semble avoir une idée très claire de la voie à suivre. «Il ne peut y avoir qu'une vision de L'actualité, déclinée sur plusieurs plateformes, affirme-t-elle. On doit retrouver la même chose sur l'internet, sur papier ou sur une ardoise électronique. Je me suis bagarrée pendant des années avec des gens du numérique qui nous disaient que ce qui fonctionne, en ligne, ce sont les nouvelles. Mais ce n'est pas ce que nous faisons, nous, des nouvelles! Nous sommes un magazine d'affaires publiques. Et rien ne dit que nous ne pouvons pas faire autre chose, comme de l'analyse et des reportages, dans l'internet. L'important, c'est d'être fidèle à sa mission.»

Que pense Carole Beaulieu de l'arrivée des médias sociaux et de la place qu'ils occupent désormais dans le paysage journalistique? «Je ne les boude pas, je les vois comme des outils supplémentaires pour recruter de nouveaux lecteurs, assure-t-elle. Comme journalistes, nous avons un coffre à outils et il est plus gros que lorsque j'ai débuté dans le métier. C'est aussi plus compliqué. Le journalisme nous oblige à changer constamment. Et les médias sociaux, eux, nous obligent à nous demander comment modifier nos pratiques pour mieux remplir notre mission dans un monde différent.»

«À une époque, poursuit la journaliste, on vendait les journaux à la criée au coin des rues. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et je trouve qu'il est important de rejoindre les gens là où ils se trouvent.»

La rédactrice en chef de L'actualité est toutefois plus sévère à l'endroit de la relève qui a tendance à bouder le travail sur le terrain, qui est exigeant, au profit de la chronique d'opinion, plus gratifiante à court terme. «On vit dans une société où on veut devenir vedette, et vite, souligne-t-elle. Moi, j'ai été formée à l'Université Carleton, où un nom mal orthographié dans un reportage nous valait un F automatiquement. C'était très exigeant. Nous, les médias, sommes collectivement responsables de la relève que nous aurons; c'est pourquoi nous devons continuer à la former.»

Cela dit, et malgré les nombreux changements qui ont transformé le paysage journalistique depuis qu'elle a débuté dans le métier, au Messager de Verdun, Carole Beaulieu se range du côté des optimistes lorsqu'elle parle de l'avenir: «À tous les oiseaux de malheur qui s'inquiètent de la mort de l'imprimé, je rappellerai que, pendant une semaine, d'un océan à l'autre, on a parlé de ce qui s'était écrit dans deux magazines. Durant ces quelques jours, c'est l'imprimé qui a dirigé la discussion. C'est la preuve que la force des mots, quand ils sont utilisés par des gens qui maîtrisent bien la langue, peut faire avancer les choses.»

Les sources de Carole Beaulieu

«Je suis une lectrice - je le précise, sinon les gens vont croire que je suis folle, lance Carole Beaulieu en riant. Je lis énormément de magazines pour le boulot, mais aussi par curiosité, parce que j'aime ça. La rédactrice en chef et éditrice de L'actualité lit donc, en rafale, les magazines qu'elle reçoit au bureau: Le Point, L'Express, Le Monde des livres, Time, Business Week, Wired, The Economist, Les Affaires, The Walrus, The Atlantic, Québec Science, Maclean's, Canadian Business, MoneySense. «De plus, le samedi, je fais une razzia au kiosque de mon quartier. Selon les sujets, j'achète Science et Vie, un magazine féminin, un magazine de voyages, National Geographic et Monocle. Depuis un certain temps, je ne manque pas un numéro de ce magazine qui m'intrigue et m'interpelle, même si c'est pas mal trop jet-set pour moi. J'aime sa façon d'aborder les sujets, de les formater. C'est ludique.»

Carole Beaulieu avoue avoir de la difficulté avec les magazines féminins. «Je pense que j'ai passé l'âge. Ça fait longtemps que j'ai trouvé mon format de bikini... Disons que j'aime mieux l'incarnation récente de Châtelaine, plus axée sur le contenu. J'ai besoin de viande, dans un magazine.»

Tous les jours, elle lit La Presse, The Globe and Mail et Le Devoir, et elle regarde la une de The Gazette. «Le reste vient du web, indique-t-elle. Je fais une virée le soir sur liberation.fr, nytimes.com et, ensuite, je cherche par thème, selon mes intérêts du moment. À la radio, j'écoute Radio-Canada dès 6 h 30. Parfois c'est René-Homier Roy (95,1 FM) en bas et Paul Arcand (98,5 FM) en haut, ça varie.» Elle regarde également les analyses de Chantal Hébert au National le jeudi soir, même elle l'écoute sur le web la plupart du temps. Un livre qu'elle offre souvent: Letters to a Young Journalist (Art of Mentoring), de Samuel G. Freedman, éditions Basic Books.