« On pourrait peut-être essayer le couple ouvert. »

C’est sur cette phrase, mi-innocente, mi-chargée, lancée en mijotant tout bonnement un poulet aux artichauts pour sa petite famille, que commence le dernier roman de Brigitte Vaillancourt, en librairie ce mardi. Une proposition osée en cette Saint-Valentin, pile dans l’air du temps.

« C’est juste que ce n’est pas possible que tu sois le seul homme avec qui je fasse l’amour pour le restant de mes jours. »

Rencontrée pour discuter de cette audacieuse amorce, l’autrice, qui signe ici Droit vers le soleil, chez Boréal, un premier roman pour un public adulte après un détour par la littérature jeunesse et un autre par la poésie, ne cache pas être (très) proche de sa narratrice. « Oui, il y a beaucoup d’intime. Mais beaucoup de temps a passé aussi. » Cinq ans, très exactement, depuis le début de la rédaction, et plus de 20 versions plus tard, ce qui a permis à Brigitte Vaillancourt de trouver le recul, même une certaine « désinvolture », comme elle dit, nécessaires à l’écriture. Une écriture sur le désir au féminin, épurée mais archi-imagée, construite en courts chapitres, avec plusieurs allers-retours dans le passé, et quantité de détails bouleversants de vérité.

En résumé : son couple électrique formé à 20 ans, qui s’aimait intensément, arrive ici à 40, fatigué, pas mort mais usé.

Cette usure du temps est racontée par une narratrice déchirée, on l’aura deviné, entre deux états : la mère tempérée, au quotidien gouverné par les chamailleries des petits et leurs cauchemars la nuit, et la femme bouillonnante, aux fantasmes aussi impétueux qu’infinis. Un déchirement mille fois raconté, certes, mais non moins parlant, et surtout drôlement engageant. Parce qu’il soulève de front et quasi brutalement des tas de questions très actuelles.

Tant mieux si ça peut faire parler des différentes formes d’amour, si ça peut permettre d’explorer, et se questionner : qu’est-ce qui rend heureux dans l’amour ? Qu’est-ce qui emprisonne ?

Brigitte Vaillancourt, autrice

Il faut dire que son récit tombe à pic. Pas plus tard que dimanche, la collègue Olivia Lévy faisait état des derniers sondages sur le sujet, lesquels dénotent clairement une tendance : si l’exclusivité amoureuse demeure un idéal pour une majorité de couples, l’exclusivité sexuelle, elle, l’est de moins en moins. Dit autrement : tranquillement, la non-exclusivité semble en voie d’être normalisée, et ce, tout particulièrement chez les jeunes. ⁠1

« Oui, on est vraiment là-dedans. Mais moi, je n’ai pas 20 ans, mais 44 ! indique Brigitte Vaillancourt. C’est un peu un leurre de penser qu’on puisse aimer et désirer une même personne toute notre vie. Mais est-ce si grave de désirer une autre personne ? », s’interroge-t-elle.

Précision : non, son roman n’est pas un récit de désamour, insiste l’autrice, mais vraiment un de désir. Au féminin, par-dessus le marché, longtemps tabou, ici mis à nu, et exploré à fond. C’est le sujet premier du texte, principal, vital, autour de quoi tout tourne et retourne. « Mais pas que le désir sexuel, précise-t-elle, mais là où peut nous mener ce désir. »

À noter qu’aussi puissant soit-il, ce fameux désir n’est pas non plus aveugle. À preuve : la narratrice jongle aussi avec le « désir de ne pas tout foutre en l’air », précise l’autrice, parce que le père de ses enfants est et demeure un homme qu’elle aime. Mais autrement. D’où ce souhait de se donner mutuellement la permission d’explorer, au-delà des limites traditionnellement consenties. Et dans le consentement, faut-il le préciser.

C’est justement par l’entremise de cette permission et de cette exploration (exaltation incluse) que notre narratrice va évoluer. Et cheminer, surtout. Entre autres réflexions : « est-ce qu’on est vraiment obligés d’avoir un amoureux, des enfants, une maison, et tout mettre en commun ? » Grosse remise en question du modèle dominant, acquis, appris, comprend-on.

Non, l’ouverture du couple n’est pas forcément un succès. Sans doute ne fait-on pas un tel saut dans le vide après 20 ans de vie commune et monogame. Quoique ça ne soit pas un échec non plus. « Finalement, en suivant la voie du désir, quelque chose lui apparaît de pas si fou. Ce n’est pas une crise de la quarantaine, nuance l’autrice. Parce qu’à travers son exploration, elle arrive à quelque chose de vrai pour elle : elle se trouve, elle, dans son désir de vivre seule, et d’avoir un autre modèle de vie. »

L’autrice ne va pas là dans le roman, mais poursuit la réflexion ici : « Peut-être que si elle avait eu la permission et la liberté, elle se serait questionnée plus jeune sur le fonctionnement de sa sexualité et sur son désir… » Bref, peut-être qu’elle n’en serait pas là aujourd’hui. Ou peut-être que si…

1. Lisez l’article « L’essentiel ? Être aimé »
Droit vers le soleil

Droit vers le soleil

Boréal

197 p.