« Né à Montréal de parents égyptiens, Éric Chacour a partagé sa vie entre la France et le Québec. Diplômé en économie appliquée et en relations internationales, il travaille aujourd’hui dans le secteur financier. Ce que je sais de toi est son premier roman. » Pause. En consultant de nouveau cette notice biographique, une fois parcourus les premiers chapitres dudit ouvrage, une question résonne : l’imprimeur n’aurait-il pas mêlé quelques pinceaux ?

D’accord pour les parents égyptiens ; sont disséminés, au gré du récit, d’authentiques échantillons de cette culture complexe et fascinante. Ayant vécu naguère plusieurs mois à Alexandrie, il aurait été difficile de me duper. Or ces lignes ont fait ressurgir avec justesse nombre de saveurs oubliées, celles de l’Oum Ali et des quartiers poussiéreux. On valide aussi pour la France et le Québec, une partie de l’histoire se déroulant au cœur d’un Montréal au visage familier.

Mais là où on tique, d’abord, c’est sur les mentions d’économie et de finance. Parce que les seuls chiffres que vous trouverez dans ce livre sont ceux de la pagination, le blanc restant étant drapé d’une couche d’humanité et de sensibilité particulièrement lumineuses.

Au fil de ce drame s’enracinant dans Le Caire des années 1980, on observe le destin inéluctable de Tarek, médecin poussé à l’exil, laissant pour seule relique tabous et tensions familiales. L’excommunié n’y raconte pas son histoire ; à partir de fragments colligés dans la douleur, quelqu’un d’autre s’en charge pour lui – au moyen d’une audacieuse narration à la deuxième personne, du même genre que celle conférant sa force sensible à Un homme qui dort de Perec. Au centre de l’échiquier, une rencontre révélatrice secouera les convictions, tordra la fluidité du cours des choses, balayant au passage certaines pièces du jeu.

Velouté comme un karkadé

Revenons à notre notice biographique. « Premier roman ». On bute, bis. Car se dévoile pourtant une maîtrise de la langue à laquelle certains auteurs ne parviennent qu’au terme d’un long chemin de croix, pétrie d’un phrasé velouté, suggestif, habile et touchant. Nul doute que ce récit a été poli, sablé, raffiné, reverni à maintes reprises avant de scintiller de la sorte. Et même si l’intrigue s’essouffle un peu en fin de parcours, elle reste soutenue par cette charpente narrative d’excellent aloi. Bref, si Éric Chacour manipule aussi bien la finance qu’il agite la plume, je lui confie la gestion de mes avoirs les yeux fermés.

Ce que je sais de toi

Ce que je sais de toi

Alto

296 pages

8,5/10