Dans Contrecoup, son 15roman, Marie Laberge parle des dommages collatéraux d’une tuerie. Mais elle parle surtout, encore, de la vie. Nous l’avons rencontrée.

Marie Laberge a 70 ans, mais toujours la même énergie gamine, la même voix chantante au débit rapide, le même sourire espiègle. Son désir de communiquer et d’aller au fond des choses est également intact : après 46 ans de carrière, l’urgence d’écrire pour témoigner de la nature humaine ne s’est pas estompée.

« Je n’écrirais pas sinon. Trop d’ouvrage ! », lance-t-elle dans un café désert animé par sa seule présence. Pas question donc d’« écrire pour écrire », juste parce que c’est son métier.

« J’écris quand ça arrive, quand je n’en peux plus, quand je sais que si je n’écris pas, je ne vais pas bien aller. Ce matin encore, j’essayais d’échapper à une idée qui macère dans mon cerveau depuis des années… C’est toujours étrange, les livres avec lesquels je me bats, en sachant que je n’y échapperai pas. »

Le point de départ de Contrecoup : un homme armé qui entre dans une boutique et qui assassine trois toutes jeunes femmes, les dommages que cet évènement tragique cause tant dans les familles des victimes, qu’on apprend à connaître, que dans celle du tueur. Disons que le sujet n’est pas léger.

C’est un sujet humain. Et dans l’humanité, il y a des bouts plates et des bouts exaltants. Je ne pense pas que j’aurais été capable d’écrire uniquement sur la violence. Se mettre dans la tête du psychopathe et y aller… zéro pour moi. Ce n’est pas possible.

Marie Laberge

Pas question de lui donner la parole, ni même d’essayer de comprendre une seule seconde celui qui flirte avec la théorie des incel.

« C’est surtout quelqu’un qui a une intense violence, beaucoup de pouvoir, et une immense impuissance », dit Marie Laberge, qui croit que son livre porte sur l’escalade du contrôle, le refus de la séparation et la difficulté de devenir soi.

Obsessions

Si Marie Laberge a choisi de mettre en scène les suites d’une tuerie, c’est pour sa brutalité et son côté démesuré. Mais Contrecoup parle surtout de la vie qui continue une fois que le couperet est tombé, aussi de la culpabilité qui ronge et de la famille comme un microcosme de la société. Autant de thèmes qui sont récurrents dans son œuvre, et qu’elle aime continuer à creuser.

« Dans La cérémonie des anges, j’avais abordé la mort subite du nourrisson. Dans Ceux qui restent, la mort par suicide. On peut dire qu’il y a une petite récurrence chez moi. C’est ma nature profonde : explorer comment on vit avec la mort. »

L’écrivaine et dramaturge s’est rendu compte en vieillissant qu’on ne pouvait pas réinventer la roue, mais qu’on pouvait « inventer une mélodie qui est la nôtre, sur les quelques notes qui sont les nôtres ».

« Et ces notes sont nos obsessions. »

Dans son cas, la vie en est une. Et la mort est « ce qui la met le plus en vedette », une grille d’analyse fascinante parce qu’elle secoue autant qu’un choc amoureux, parce que les personnages et leurs choix de vie se révèlent davantage dans ce qui ressemble à un petit tremblement de terre.

Nourrissant

Contrecoup est un livre très dense, 500 pages bien tassées, mais divisé par de courts chapitres qui lui donnent un rythme, estime Marie Laberge. Si le voyage a été intense, il a aussi été nourrissant.

« Il y avait tellement de personnages qui me semblaient doués pour la vie dedans ! Il y a beaucoup de monde, il fallait que chacun ait sa place. »

Elle y aborde aussi une foule de sujets, comme la gémellité, qui est assez centrale, le choc post-traumatique – le livre se promène entre deux époques, au moment de la tuerie et 18 mois plus tard –, la compétence parentale, l’exploration sexuelle, les réseaux sociaux « qui peuvent parfois être plus violents qu’une arme ».

En fait, c’est un roman très 2021 – sauf pour la pandémie que l’écrivaine a sciemment gommée parce qu’elle lui semblait anecdotique par rapport à son histoire –, et dans lequel elle observe ses contemporains, en particulier les jeunes femmes, qui la fascinent beaucoup.

« Elles ont un destin, une éducation, un accès au monde très différents du mien. Il faut que j’enlève tout ce que je sais de moi, et que je me mette avec elles. Mais j’adore faire ça. »

Elle a entre autres eu beaucoup de plaisir à discuter avec ses petites nièces de 13, 14 ans, question de découvrir leur vocabulaire, leur regard sur le monde. « J’ai adoré ces conversations. Elles sont riches d’un savoir que je ne peux pas avoir. »

Mais que ce soit maintenant ou il y a 20 ou 40 ans, son objectif n’a pas changé : donner aux êtres humains un écho d’eux-mêmes, avec leur fragilité et leur force. « Et le plus fort est toujours celui qui sait les fragilités. »

Tous les côtés

« Moi, ma business, c’est de tremper dans l’humanité et d’en rendre compte », dit Marie Laberge, qui a constaté au cours des années que quoi qu’elle écrive, la réalité vient toujours la rattraper.

On ne peut pas inventer au-delà de ce qu’est le monde. Il est plus fertile en méchanceté et en perversité, mais aussi en force et en courage. Tout est là.

Marie Laberge

Elle aime éclairer les deux côtés, évitant autant la « vision béate » que la noirceur totale. « Quand j’écris, j’ai besoin que la vie reste la vie, qu’elle ne soit pas condamnée. »

C’est ce qu’elle a fait dans ce livre, qu’elle a commencé à écrire avant la pandémie et qui sort enfin mercredi. Elle a hâte d’aller à la rencontre des lecteurs dans les salons du livre après 18 mois de « désert stérile » pour la communication, et caresse toutes sortes de projets fous en sachant qu’elle devra faire des choix, même si elle est toujours très en forme. « Combien de livres je vais pouvoir faire encore ? », se demande-t-elle.

Elle espère surtout que Contrecoup « se fera beaucoup d’amis », qu’il aura un avenir de « brassage d’idées », pour que les gens aient envie de « vivre plus fort, plus intensément ».

Mais la suite, elle le sait, ne dépend plus d’elle. « J’ai travaillé en exigeant tout le temps le meilleur, jusqu’au bout de ce que je sais faire, avec l’expérience que j’ai pis toute. Mais là, c’est aux gens de me le dire, pas à moi. »

En librairie mercredi

Contrecoup

Contrecoup

Québec Amérique

504 pages