La Presse s'est entretenue avec Josh Tillman, alias Father John Misty, alias le barde le plus polarisant de la musique indie, deux jours avant qu'il n'offre à Osheaga la matière de son album Pure Comedy, réflexion tragique sur ses semblables et sur lui-même. De retour du Japon et toujours assommé par le décalage horaire, le musicien qui nous parlait de Los Angeles n'avait manifestement pas le coeur à s'épancher. Et comme Josh Tillman a pour langue seconde le sarcasme, il peut être parfois difficile de distinguer dans ses propos la fanfaronnade de la vérité nue. Mais une chose est sûre : il se moque de ce que vous en pensez.

Vous avez déjà présenté le tiers de la tournée Pure Comedy. Comment est-ce que ça se passe ?

Ça se passe bien. [Silence]. Oui. [Silence.]

Comment avez-vous transposé cet album sur scène ?

[Soupir.] Eh bien, ce n'est pas très difficile, parce que les gars de mon groupe sont les mêmes que ceux qui jouent sur l'album. [Silence.]

Certaines personnes ont vu du Bob Dylan dans votre écriture sur Pure Comedy. Je me demandais ce que vous pensiez de cette comparaison.

Je pense qu'à peu près tout le monde se fait comparer à Bob Dylan au moins une fois dans sa vie, alors... [Silence.]

Alors ça n'a rien de vraiment spécial ?

Non... Le pire songwriter que tu puisses imaginer va éventuellement être comparé à Neil Young, alors... En fait, je sais que ce que les gens veulent dire par là, c'est que j'ai trop de mots [dans mes chansons]. En gros, c'est ce que ça signifie. [Rire bref.]

Cet album a été majoritairement écrit en 2015, c'est bien ça ?

Oui. [Soupir.]

Alors avec des paroles comme Where did they find these goons they elected to rule them ? (« Où ont-ils trouvé ces brutes qu'ils ont élues pour les diriger ? ») dans la première chanson, avez-vous connu un moment : « Vous voyez, je vous l'avais bien dit » ?

Non, parce que si vous pensez que Donald Trump est la seule brute que nous ayons jamais élue, alors vous méritez Donald Trump. Vous voyez ce que je veux dire ?

Mais en même temps, vous avez dit qu'il ne s'agissait pas d'un album politique.

Oui... Je veux dire, la politique en fait partie, mais ce n'est pas que ça. [Silence.]

Je suis désolé, je viens juste de me réveiller et... je ne sais pas... Les entrevues... je suis rendu à un moment où je ne supporte plus de dire la même chose encore et encore. Je n'y arrive simplement pas. [Rire bref.]

[Pure Comedy], c'est à propos de nous, pas seulement à propos de la politique. Je sens que les gens sont frustrés, et je voulais leur faire entendre quelque chose qui puisse leur faire sentir qu'ils ne sont pas seuls avec cette frustration.

Merci, je comprends tout à fait que vous soyez fatigué, je sais que vous êtes tout juste de retour d'Asie, alors... on va passer à travers rapidement.

[Rires.]

Mais parlant d'entrevues, je voulais vous parler de cette phrase que vous chantez : Just quickly how would you rate yourself in terms of sex appeal and cultural significance ? (« Rapidement, quelle note vous donneriez-vous pour votre charme et votre importance culturelle ? »). Est-ce que c'est une question qu'on vous a réellement posée ?

Oh non. Mais je trouve que les médias sociaux sont une invitation à constamment s'évaluer soi-même. Tout ce qu'on écoute contient une publicité, d'une façon ou d'une autre. Vous savez, quand vous écoutez Spotify, il y a des publicités, quand vous utilisez une application, il y a des publicités. Je crois qu'on y est tellement habitués maintenant, et j'ai voulu mettre une publicité dans le milieu de ma chanson. Mais je voulais que ce soit une très belle publicité.

Seriez-vous fâché si je vous demandais alors quelle note vous vous donneriez ?

Littéralement, combien je me donnerais pour mon importante culturelle ?

Oui.

Probablement un 4. Un gros 4. Hum hum.

Sur combien ?

Un 4 sur 10.

L'album a été qualifié de sombre, mais il se conclut avec In Twenty Years or So, et la phrase How it is a miracle to be alive (« quel miracle d'être en vie »). Est-ce que je me trompe, ou c'est une lueur d'espoir à la fin ?

[...] Ça dépend pour qui. Il n'y a pas d'espoir pour tout le monde, vous savez. Je veux dire, plein de personnes vont connaître une mort horrible avec les changements climatiques. C'est réel, vous savez.

Alors quand les gens posent cette question, je pense que ce qu'ils veulent dire c'est : est-ce que l'humanité va perdurer ? L'humanité ne va pas continuer pour toujours. Si c'est votre définition de l'espoir, alors non, [il n'y en a pas]. Mais est-ce qu'il y a de l'espoir pour quelques moments de beauté dans cette vie ? Alors oui, mais cela dépend de chaque individu, ça ne relève pas de moi. Les gens décident s'ils veulent avoir espoir ou pas.

Et êtes-vous optimiste à propos de vous ?

[Silence.] Certains jours. Certains jours, non.

Selon vous, quelle est l'idée fausse la plus répandue à propos de Father John Misty ?

Que je sais quoi que ce soit. [Silence.]

C'est tout ?

Oui, c'est tout. Merci pour votre temps.

Oh, est-ce que je ne pourrais pas poser quelques questions de plus ?

Oh ! OK, d'accord.

Vous parlez ouvertement de ceux qui n'aiment pas ce que vous faites. Est-ce que ces critiques vous poussent à aller plus loin dans votre art ?

Oui, je pense que ça fait partie de la relation entre un artiste et les critiques. Je crois qu'en tant qu'artiste, il est nécessaire de penser de façon critique à ce qu'on fait, et parfois, on a besoin de ces avis extérieurs.

Mais vous vous êtes déconnecté des médias sociaux il y a quelques mois. Qu'est-ce que cela a changé à votre vie ?

Vous savez, il y a une différence entre les médias sociaux et des critiques réfléchies. [Silence.] Les médias sociaux, c'est une perte de temps. Peut-être pas pour tout le monde, mais quand j'y suis, je sens que je perds mon temps et que je devrais faire autre chose.

Comme créer ?

Lire, écrire, manger, parler à mes amis, n'importe quoi.

Vous avez donné beaucoup d'entrevues pour le lancement de Pure Comedy. Dans l'une d'entre elles, vous avez déclaré consommer régulièrement de l'acide, mais dans une autre, vous avez dit n'avoir jamais donné d'entrevue honnête. Laquelle de ces affirmations est-elle vraie ?

[Rire.] Je ne veux pas dire que je mens constamment. C'est juste que si j'étais vraiment honnête, je vous dirais que je ne connais la réponse à aucune de ces questions. Et la vérité, c'est que je ne vois pas l'intérêt de tenter de répondre à des questions auxquelles je n'ai pas de réponse. Mais je suis là, alors je dois essayer. Et peut-être que c'est ça, le sens de la vie. Essayer.

Et est-ce que ça, c'était une réponse honnête ?

[Rire.] Oui. J'essaie d'être méta.

Merci beaucoup. Bien que vous ayez vendu des tonnes d'albums, vous avez refusé de travailler pour un « major ». Est-ce que c'était dû à une sorte de peur d'avoir trop de succès ?

Hum. Non, je ne pense pas que le fait d'avoir trop de succès me menace vraiment. J'aime simplement ma compagnie de disques, c'est la réponse honnête. J'adore travailler avec Sub Pop, qui est devenue ma famille. Et échanger la famille contre la vente d'albums de plus, c'est une idée de merde.

Qu'est-ce que cela signifie d'être un artiste indie en 2017 ?

Je ne sais plus vraiment ce que « indie » signifie. [Silence.]

J'ai remarqué que vous avez quelques fois évoqué Lorde comme représentant l'opposé de ce que vous faites. Je me demandais si vous saviez qu'elle serait aussi en spectacle à Osheaga ce week-end.

[Silence.] Lorde est bien, vraiment, elle est bonne. C'est juste quelqu'un à qui j'ai pensé. Elle est simplement une artiste indie qui a décidé d'essayer de devenir une pop star. Mais si vous prenez ce que je viens de dire à propos de Lorde pour le monter en épingle et en faire quelque chose de scandaleux... j'aime beaucoup Lorde. Je crois qu'elle est très bien. Il y a juste des propriétés abstraites que je ne peux pas expliquer.

Ce n'était pas mon intention de prendre quelque chose de plutôt banal pour en tirer quelque chose de juteux.

[Rire.]

C'est simplement que vous participez au même festival et que je peux tout à fait imaginer que des gens qui aiment votre musique aillent aussi au spectacle de Lorde. Alors je me demandais où était la dichotomie.

C'est une jeune personne qui fait de la musique accrocheuse et sentimentale, et je suis une vieille personne qui fait de la musique accrocheuse. C'est à peu près ça.

J'ai trouvé que vous aviez une vision intéressante des femmes en musique. Pourquoi pensez-vous que c'est une industrie anti-femmes ?

[Soupir et silence.] Ce n'est pas un milieu facile. Le monde est dur pour les femmes. Nous vivons dans une culture où les hommes aiment s'attribuer le mérite. Pour un patron de label ou un producteur, c'est facile de s'attribuer le mérite de ce que les femmes accomplissent. Je ne sais pas...

Vous savez, je suis vraiment désolé, je viens de me réveiller, je suis toujours à l'heure du Japon et mon cerveau ne fonctionne pas. Est-ce que c'est correct ?

Ça va, je comprends.

Mais merci pour le temps que vous m'avez accordé. On se voit là-bas.

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Sur la scène de la Vallée Vans, samedi à 20 h 20