Parrain des Nuits d'Afrique, le reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly clôt dimanche la 26e présentation du festival montréalais, dans le Parterre du Quartier des spectacles. Ce spectacle gratuit risque d'attirer beaucoup de monde, d'autant plus qu'il aura lieu après la tenue d'une une manifestation nationale au centre-ville, organisée en après-midi par la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE).

Et puisque l'imposant Tiken Jah est associé à la mouvance progressiste, et que Gabriel Nadeau-Dubois annonce via Facebook qu'il assistera lui-même au concert, pas besoin de vous faire un dessin!

Joint en France vendredi, le chanteur s'exprime d'abord sur son statut de parrain du festival montréalais :

«C'est un honneur, car ce festival représente l'Afrique à Montréal et au Canada en général. J'ai même entendu parler des Nuits d'Afrique jusqu'aux États-Unis ! La dernière fois que je suis passé à Montréal en tournée, on m'a approché en souhaitant que je parraine ce festival cette année; j'ai tout de suite accepté, car c'est pour moi très important. Mon équipe et moi sommes très heureux de revoir ce public qui est fidèle à nos concerts. Nous sommes prêts !»

Même en fin de cycle pour cette tournée qui fait suite à la sortie de l'album African Revolution (en 2010), Tiken Jah prévoit des changements au programme de son spectacle : «J'ajouterai de nouvelles chorégraphies et des morceaux qu'on n'a pas joués lors de notre dernier passage s'ajouteront au spectacle. On n'a pas envie d'aller servir le même plat !»

Reconnu pour son profil de libre penseur progressiste, l'Ivoirien n'était pas au courant de la tenue d'une manifestation nationale à Montréal ce dimanche, et dont moult participants pourraient converger vers son spectacle. À ce titre, il réagit courtoisement et prudemment :

«Ça fait plaisir!  Je sais qu'il y a eu des manifestations à Montréal, et qu'on aurait même utilisé mes chansons à l'occasion. Et voilà... Le peuple n'est pas content, le peuple revendique, c'est ça qui fait bouger les choses. En même temps, j'ai un devoir de réserve. Si je dénonce l'ingérence de l'Occident dans les affaires africaines, je ne le ferai pas de mon côté avec les vôtres! Aussitôt arrivé à Montréal, donc, je vais demander à ce qu'on me fournisse plus de détails au sujet de ce conflit sur les frais de scolarité. En tout cas, si ces frais sont trop élevés et qu'ils empêchent certains de poursuivre leurs études, cela peut entrer dans la ligne du combat que je mène pour l'éducation en Afrique.»

Sa position sur le Mali

Décidément, Tiken Jah Fakoly est l'homme des points chauds! On sait que son exil de Côte d'Ivoire (alors que sa sécurité était menacée) l'a mené au Mali, un pays qui traverse une période très difficile : contrôle de la partie septentrionale par des islamistes armés, gouvernement de transition qui fait suite à un coup d'état militaire, instabilité politique, profonde inquiétude au sein de la population...

«J'ai décidé d'y rester. J'y suis arrivé lorsque c'était un pays sans problèmes ethniques, sans problèmes de religion, sur la voie de la démocratie. J'ai passé de bons moments avec les Maliens qui m'ont accueilli à bras ouverts lorsque je ne savais plus où aller. Qui m'ont fait sentir chez moi dans leur pays. Alors je pense qu'il ne faut pas les lâcher. Il me faut aider mon pays d'accueil à se sortir de cette situation avant de rentrer en Côte d'Ivoire et contribuer à sa réconciliation nationale.»

Sa lecture de la situation malienne est la suivante :

«Il faut d'abord retrouver une stabilité politique à Bamako, soit dans le sud du pays. Au lieu que les politiciens du Mali se battent pour leur fauteuil, il faudra qu'ils se battent pour le Mali. Il faut un gouvernement d'union nationale avec l'implication de tous les partis politiques. Une fois qu'on aura acquis cette stabilité politique avec le retour de France du président par intérim (Dioncounda Traoré, qui a été tabassé par des manifestants sans que l'armée n'intervienne), une fois que le sud va bien se porter, il faudra alors combattre ceux qui occupent le nord du territoire malien.»

On comprendra que Tiken Jah Fakoly s'oppose totalement aux rebelles religieux qui ont pris le pouvoir par les armes à Tombouctou et dans les zones septentrionales du pays.

«Le combat mené contre les islamistes au Mali, c'est le même qui est actuellement mené en Afghanistan. C'est le combat contre quiconque veut imposer sa religion à un pays laïque, à des populations ayant vécu en harmonie. Ce combat devra être mené de concert avec la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union africaine (UA). À ce moment-là, la communauté internationale n'aura d'autre choix que de nous soutenir.»

Pour Tiken Jah Fakoly, le soutien militaire de cette communauté internationale devra être absolument coordonné par un pouvoir africain.

«L'OTAN, laisse-t-il échapper,  c'est un peu la colonisation. L'an dernier, on a attaqué Kadhafi très rapidement. Aujourd'hui, on hésite encore à attaquer Bachar el-Assad. Ma lecture est simple : l'OTAN et le système occidental agissent en fonction de leurs intérêts. Pourtant... les Occidentaux sont en guerre contre le terrorisme, n'est-ce pas ? Le nord du Mali n'est-il pas à plus ou moins 5000 kilomètres de la France, ce qui fait beaucoup moins loin que l'Afghanistan ?»

Quant à la question de l'autonomie des Touaregs dans la zone subsaharienne, le panafricaniste convaincu préfère l'union à la séparation.

«Au Mali, j'ai des amis touaregs, des amis bambaras, des peuhls, bref j'ai de bonnes relations avec  toutes les ethnies du Mali. Au fil du temps, j'ai vu ces ethnies vivre en harmonie, je n'ai pas observé de problèmes entre les communautés. Bon, c'est vrai, les Touaregs revendiquent plus d'autonomie, ce que je respecte. Mais je souhaite que cette autonomie soit acquise aussi dans l'intérêt du Mali. Je me bats pour que l'Afrique soit unie et non divisée, je ne peux donc soutenir une sécession du territoire touareg tout en comprenant l'exigence d'une plus grande autonomie des Touaregs pour leur développement.»

En bref, Tiken Jah Fakoly souhaite que le Mali retrouve le chemin de la démocratie, du développement et de l'union nationale.

«Ça va prendre du temps, mais on finira par comprendre que la majorité des Maliens et des Africains souhaitent la démocratie et non un régime dirigé par des militaires responsables du coup d'État le plus insensé. Si j'en ferai des chansons ? Cette situation n'échappera pas à mon inspiration. Et il y a de très fortes chances que j'en traite dans mon prochain album. J'ai commencé à y travailler, les premiers titres sont en chantier, je vais bientôt faire la maquette pour ensuite entrer en studio.»

Tiken Jah Fakoly se produit gratuitement ce dimanche, 21h30, au Village des Nuits d'Afrique, soit sur le Parterre du Quartier des spectacles.