Mettez deux corps sur scène. Inévitablement, une relation se dessine entre eux. Tendre ou empreinte de rivalité, passionnée ou amicale, Daniel Léveillé cartographie par le geste deux solitudes qui se rencontrent dans Solitudes duo.

Présentée au FTA, cette nouvelle création du chorégraphe montréalais fait partie d'un nouveau cycle de création entamée en 2012 avec Solitudes solo. Solitudes duo en est la suite logique avec ses six duos.

Ici, les corps, présentés deux par deux, se jaugent, s'observent, rivalisent, se frottent, s'enlacent tendrement ou se jettent l'un sur l'autre brutalement dans une succession de duos réunissant sept interprètes sur une scène extrêmement dépouillée.

Seulement parée d'un carré blanc déposé au sol, où se déroule l'action, l'espace scénique s'offre nu au regard. Tout comme les interprètes, très légèrement vêtus, la lumière éclairant leurs corps le plus souvent crûment, ne laissant aucune place à la suggestion - ni à l'erreur.

Le geste aussi se fait frontal, sans concession, extrêmement physique. Léveillé donne à ses danseurs une partition chorégraphique vigoureuse qui ne pardonne pas. Très athlétique, elle amalgame de nombreux portés, souvent vertigineux et périlleux, des figures à deux quasi acrobatiques, des sauts demandant de fortes impulsions et des tours et pivots aux transferts de poids complexes qui laissent souvent les interprètes déstabilisés, voire débalancés.

Ancrée dans la répétition, la chorégraphie utilise encore et encore les mêmes mouvements, chaque duo se démarquant des autres par de petits ajouts ou détails, mais surtout par l'intention derrière le geste, qui teinte les duos de différentes couleurs relationnelles.

Si l'idée est intéressante, le rendu est plutôt inégal. Et c'est là où le bât blesse. Il est tout de même fascinant de voir comment certains danseurs aguerris (Brianna Lombardo et Emmanuel Proulx, magnétiques) réussissent à élever la pièce alors que d'autres ont plus de difficulté à exécuter les mouvements et, surtout, à habiter les espaces entre ceux-ci, provoquant certains malaises.

Je t'aime, moi non plus

Si Solitudes duo mise sur une gestuelle plutôt abstraite, le spectateur a vite fait d'associer sentiments et états d'âme aux différents duos, aidé par la trame sonore (qui passe de la musique classique de Bach au rock 'n' roll des Beatles), qui ajoute une couche narrative à la chorégraphie.

Un regard méfiant jeté sur l'autre, une épaule qui se dérobe à la main posée, des corps qui se jaugent en tentant d'imiter la gestuelle de l'autre: rivalité. Des bassins qui tanguent, des mains baladeuses, des étreintes enflammées: passion amoureuse. Des corps se meuvent et virevoltent en harmonie: fraternité.

Çà et là - surtout dans le dernier duo, peu subtil -, Léveillé brise le ton avec des passages plus théâtraux, qui arrachent un sourire ou deux, sans réellement qu'on comprenne la raison qui motive ce choix. Comme si le créateur s'était engagé trop timidement dans cette voie pour qu'elle s'inscrive significativement dans l'oeuvre.

En filigrane, malgré les enlacements souvent tendres et les relations de proximité mues par les entrelacements de la chorégraphie, les solitudes du titre demeurent intactes. Comme quoi, même ensemble, on demeure, chez Léveillé, toujours seuls face à soi.

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Solitudes duo de Daniel Léveillé. À l'Agora de la danse ce soir, dans le cadre du FTA.