Présentée ce week-end au Théâtre Maisonneuve, l'adaptation du roman à succès de Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, est l'un des moments forts du FTA. Une illustration de la décadence de la société occidentale, mais aussi de la puissance de la parole théâtrale.

À voir les sombres propositions théâtrales présentées à mi-parcours du Festival TransAmériques (FTA), le nihilisme est résolument un humanisme. D'Angélica Liddell à Jérémie Niel, en passant par Michel Houellebecq, le désespoir, la souffrance et la révolte forment le sel de la création contemporaine.

Heureusement, les oeuvres transcendent la pose existentialiste ou narcissique. Elles nous confrontent «au silence déraisonnable du monde» (Camus). Elles critiquent intelligemment le libéralisme économique qui gruge ce qui reste d'humain chez l'Homme. Enfin, elles bousculent nos idées reçues sur la société du plaisir et du désir éternel. Le théâtre sera révolte ou ne sera pas.

Présentée deux soirs seulement au Théâtre Maisonneuve, l'adaptation du roman à succès de Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, était fort attendue. Coup de coeur du public et de la critique, l'été dernier, au Festival d'Avignon, la pièce est portée avec fougue et par 10 jeunes interprètes, constamment présents sur scène durant près de 4 heures, sous la direction (parfois disparate et inégale) du metteur en scène Julien Gosselin (26 ans), et enrobée par la musique atmosphérique et enlevante de Guillaume Bachelé.

Cette jeunesse apporte un supplément d'âme et une bonne dose d'ironie aux Particules élémentaires, une critique au vitriol de la génération du baby-boom. De son hédonisme, son égoïsme et son «libéralisme sexuel».

Le spectacle est puissant, frontal, captivant; non sans quelques longueurs et mollesse (ça crie et surjoue parfois, la diction n'est pas toujours claire, on perd du texte). La forme du théâtre-concert dans un décor ouvert n'est certes pas nouvelle, mais elle sert fort bien ici la prose et la pensée «impure» de l'écrivain maudit et adulé. Julien Gosselin a su bien tirer la théâtralité du roman. Influencé par Jan Fabre et Stuart Seide, Gosselin a un penchant pour le théâtre polyphonique et «bâtard», où se mêlent vidéo, chant, monologue, rapport frontal au public et scènes dramatiques conventionnelles.

Le coeur de l'oeuvre

Son collectif - qui produit la pièce - se nomme Si vous pouviez lécher mon coeur. Or, ce nom convient aussi au récit de misère sexuelle et de manque d'amour des Particules... On y suit les protagonistes, Bruno et Michel, des demi-frères qui ont souffert de l'absence et de la froideur de leur mère. (La mère est d'ailleurs à l'origine de bien des malheurs dans les productions de cette édition du FTA...)

Dans la première partie, on retrace leur enfance et leur jeunesse de la fin des années 50 jusqu'au début des années 70. Dans la deuxième, on revoit Bruno et Michel, adultes, dans les années 90 jusqu'au nouveau millénaire. L'un est un éminent scientifique, rangé et asexué. L'autre est un enseignant sans envergure et, surtout, un obsédé sexuel qui court les putes et les orgies. Sa devise pourrait être: Je bande, donc je suis!

Solitude et mélancolie

Tous les deux sont solitaires, mélancoliques. Bruno récite un poème de Baudelaire, «Sois-sage, ô ma douleur»... avant de s'enfoncer dans la dépression, après la mort de son premier et unique amour. Michel partira pour l'Irlande. La dernière partie se situe dans un avenir immédiat. Les acteurs rangent tous les accessoires du décor et se dévêtent, gardant seulement leurs sous-vêtements. Ils annoncent un monde nouveau dans un avenir immédiat, «une post-humanité»... à la fois un souhait de l'auteur et une théorie laissée en héritage par le personnage de Michel.

Il n'est pas de crépuscule qui ne soit une aurore, dit-on. Dans le tableau final, la troupe des acteurs se regroupe à l'avant-scène, verre de vin à la main, et trinque au public dans la salle: «Nous dédions ce spectacle à l'Homme.»

Magie du théâtre de nous faire encore croire au miracle malgré le désespoir. En nous permettant de nous accrocher à l'espoir (fragile) d'appartenir à la race des hommes et des femmes. C'est le message qui transperce de ce puissant et très beau spectacle. Mais aussi, sûrement, de la directrice du FTA, Marie-Hélène Falcon, à travers son ultime programmation...