L'adaptation théâtrale du célèbre roman Les particules élémentaires de Michel Houellebecq a créé l'événement au dernier festival d'Avignon et les Montréalais auront la chance de la voir au Festival TransAmériques. Entrevue avec le metteur en scène Julien Gosselin, grand lecteur de Houellebecq.

Quel est votre rapport personnel avec l'oeuvre de Houellebecq et pourquoi avez-vous eu envie de l'adapter pour la scène?

Ce n'est pas quelque chose que j'aurais de prime abord imaginé, adapter [un roman] au théâtre. Houellebecq est un écrivain que j'ai beaucoup lu depuis que je suis adolescent. J'ai commencé avec ses poèmes, puis j'ai lu ses romans. Je me suis intéressé de plus près à son oeuvre, mais toujours en lecteur individuel privilégié, pour mon plaisir à moi. L'envie m'est ensuite venue de trouver un matériau théâtral qui me soit propre, qui soit propre aussi aux acteurs avec qui je jouerais; du coup, j'ai commencé à fureter dans son oeuvre, à chercher quelque chose dans la structure, dans sa façon de composer ses romans, en multipliant les formes narratives, qui pourrait être utilisé au théâtre. Je dirais qu'il y a quelque chose de touchant dans sa vision du monde terrible mais en même temps pleine de compassion et émouvante, et aussi un rapport à la langue qui me paraissait extrêmement utilisable au théâtre.

Comment expliquez-vous que ce roman n'a jamais été adapté pour le théâtre en France?

(rires) Il y a une série de raisons. Peut-être une tradition française qui n'est pas celle de nos voisins allemands, néerlandais ou flamands. Nous avons une vraie tradition de littérature théâtrale: nous écrivons des pièces de théâtre et nous jouons les pièces de théâtre; nous ne sommes pas dans une tradition d'adaptation. Il y a sans doute aussi le fait que Michel Houellebecq a une image médiatique et littéraire particulière; ce n'est pas un auteur que les Français mettent dans la catégorie de la grande littérature théâtrale. On imagine à tort que Michel Houellebecq fait partie des écrivains à l'écriture plus blanche, plus neutre, plus distante - ce qui, en fait, est totalement faux.

Houllebecq a un regard très cru et dur sur la société et la génération post-soixante-huitarde. Vous n'appartenez pas à cette génération, mais en quoi vous reconnaissez-vous dans sa vision?

Je pourrais vous répondre en vous disant: Racine, quand il écrit Phèdre, il n'est pas tout à fait de ma génération et pourtant, beaucoup de gens se reconnaissent dans le parcours de Phèdre. Plus sérieusement et en étant plus politiques, les personnages de Houellebecq ne sont pas du tout de ma génération, mais les problèmes qu'ils traversent, on les traverse tous encore aujourd'hui. Que ce soit la solitude, la question de la sexualité, de l'amour, de l'abandon, les grandes questions scientifiques, ces problèmes existent encore et se sont peut-être même amplifiés depuis les années 90. Toutes ces questions-là ont encore une valeur pour les gens de ma génération.

Houellebecq suscite les passions en France; on connaît peu d'écrivains contemporains qui dérangent autant. Son roman écrit en 1998 continue de fasciner et d'exaspérer. Qu'est-ce que Houellebecq a vu qui fait aussi mal?

Plusieurs choses. À mon avis, c'est le rapport médiatique qui est complexe avec Michel Houellebecq: on a tendance à confondre son personnage public, sa façon de répondre aux interviews, sa lenteur, son côté étrange, son physique particulier, avec ce que pourrait être sa littérature sans vraiment l'avoir lu. Ensuite, ce qui est le plus dur, c'est que, pour lire Houellebecq, il faut être en bonne santé! Je le lis avec un recul qui me permet de trouver ça beau, passionnant, intéressant, tout en étant violenté et touché. Je sais que pour certaines personnes, c'est extrêmement difficile d'être confronté à ce dont il parle - comment il traite les personnages féminins, par exemple, c'est quelque chose. J'ai eu des débats avec des spectatrices qui trouvent ça très difficile à entendre.

Houellebecq souligne l'obsession contemporaine pour la jeunesse. Étant vous-même très jeune, qu'avez-vous à dire sur ce sujet?

Techniquement, je suis bien forcé de constater qu'il y a une obsession contemporaine pour la jeunesse. Le personnage d'Annabelle dit qu'on a tendance à penser, dans nos sociétés occidentales, qu'il y a une période de la vie où on sort et on s'amuse et qu'après 30 ans apparaît l'image de la mort. Houellebecq, par sa voix, dit qu'au contraire, dès qu'on est jeune, l'image de la mort est déjà très forte. Il n'y a pas un hiatus entre une jeunesse naïve et une vieillesse sinistre. Même les jeunes peuvent avoir une quête de jeunesse...

Vous estimez que Houellebecq est un écrivain moral et qu'il choque précisément par «la violence de sa candeur».

Je le crois vraiment. En fait, Houellebecq n'est jamais vraiment violent. Il a une empathie totale et tout ce qu'il aborde frontalement, il l'aborde avec une infinie douceur, mais... il l'aborde. Il y a chez lui une infinie tendresse qui est toujours liée à une naïveté et à une candeur, à la possibilité d'un dépassement de cette violence par l'amour presque total et naïf. C'est cette double force qui rend la chose très émouvante pour moi.

Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts les 30 et 31 mai.

Photo Simon Gosselin, fournie par le FTA

Le metteur en scène Julien Gosselin: «Pour lire Houellebecq, il faut être en bonne santé.»