Le grand chorégraphe flamand Alain Platel présente sa plus récente pièce Gardenia dans le cadre du FTA. En collaboration avec le metteur en scène Frank Van Laecke et la comédienne transsexuelle Vanessa Van Durme, neuf artistes, dont sept travestis dans la soixantaine, affrontent notre peur de vieillir. Un miroir poignant de la condition humaine.

«Il y a quelques années, je me suis demandé si j'allais continuer à produire pour produire, enchaîner un spectacle par an, et puis j'ai décidé que non. Surtout pas. J'ai choisi de créer uniquement quand j'avais quelque chose d'essentiel à dire. En me concentrant sur le thème de la souffrance humaine, qui relie tous les êtres humains. Et maintenant, je suis heureux.»

Ainsi parle Alain Platel au téléphone, d'une voix calme et claire, en prenant le temps. Le temps de réfléchir aux questions et d'y répondre avec attention et profondeur: «J'ai toujours tenté de mettre de la profondeur dans mes créations, dit-il, quels qu'aient été les sujets abordés.»

Né en 1959 à Gand, il s'est formé au mime et au théâtre dès l'âge de 11 ans, puis a suivi une formation d'orthopédagogue, avant de réunir le tout en devenant une des figures majeures de la nouvelle danse flamande qui dès les années 80 a littéralement révolutionné la danse en Europe, et au-delà. Caractérisée justement par le fait, tout comme Jan Fabre, Jan Lauwers ou Sidi Larbi Cherkaoui, d'avoir fait éclater les codes et les normes du spectacle avec un mélange improbable de danse, théâtre, cirque, chansons pop et grande musique classique.

«En Flandre, à cette époque, on était dans un creux, se souvient-il, sans aucune tradition de danse ni de théâtre. J'ai souvent dit qu'on n'a pas eu de «père à tuer». On avait la liberté d'inventer de toutes pièces, comme dans un grand terrain vague.» En 1984, il fonde Les Ballets C. de la B, devenue une compagnie mythique que l'on a souvent vue à Montréal. La danse flamande et la danse québécoise ont d'ailleurs collaboré ardemment depuis ces années-là, notamment autour du Vooruit, exceptionnel centre de production qui était aussi le domicile des Ballets C. de la B jusqu'à peu. Proximité d'esprit, mais aussi d'audace créatrice. «J'adore Montréal», dit d'ailleurs Platel, regrettant de ne pas pouvoir venir accompagner la troupe de Gardenia.

De Stabat Mater (1984) à Tous des Indiens (2001), Wolf (2003, avec des acteurs sourds rencontrés pensant sa pause de trois ans durant laquelle il a appris le langage des signes) ou Out of Context For Pina (2009, en hommage à Pina Bausch qu'il revendique comme une influence majeure) se sont succédé une vingtaine de chorégraphies, des films, des textes. Toujours chez lui, un discours social et intimiste, avec une sensibilité exacerbée pour la fragilité humaine, les fêlures, les marginalités que l'on voudrait cacher ou ignorer. Platel a toujours recherché des danseurs-acteurs qui ont une certaine timidité même s'ils n'ont pas peur de s'exposer et de bouger et qui le font d'une manière très personnelle. Cela prend du temps, de l'impro, de la confiance «un mot essentiel, dit-il, si on veut faire jaillir des choses profondes, à partager avec le public.»

Tout cela se retrouve dans Gardenia. La pièce a littéralement scotché d'émotion le public du Festival d'Avignon 2010. Sur une idée de l'actrice transsexuelle Vanessa Van Durme (Regarde maman je danse) qui lui a présenté le metteur en scène d'opéra Frank Van Laecke, la pièce met en scène l'histoire vraie de sept travestis rattrapés par l'âge, l'effritement du corps qui emporte, dans sa chute, celui des rêves. Restent les souvenirs crus de ces hommes qui ont dû braver les années 50, 60, 70 dans les préjugés sinon le rejet, la violence que déchaînait leur homosexualité.

Entre confidences, chansons pop (Aznavour et Claude François, mais aussi Over the Rainbow ou Sag mir wo die Blumen sind de Marlène Dietrich) et orchestration classique de Mahler ou Schubert, un jeune danseur de 25 ans incarnant leur jeunesse envolée, les interprètes se refont une soirée, une dernière représentation au cabaret Gardenia de Barcelone qui va fermer. Pour un soir et un soir seulement, toute une vie à partager avec le public sous les yeux duquel ils redeviennent les divas de leur passé. Une intensité juste qui est aussi un moment de rêve. Alain Platel conclut: «Malgré leur souffrance, ils donnent un spectacle d'espoir.»

Gardenia d'Alain Platel, du 1er au 4 juin, à 20h, au Monument-National.