Alors qu'il était une vedette montante de la scène hip-hop française, Gaël Faye a été happé par l'immense succès de son premier livre, Petit pays, publié en 2016 et qui a reçu de nombreux prix, dont le Goncourt des lycéens. Né en 1982 au Burundi d'une mère rwandaise et d'un père français, Gaël Faye raconte dans ce roman qui n'est pas autobiographique le génocide rwandais du point de vue décalé d'un enfant du Burundi.

L'artiste, sacré Révélation de la scène aux dernières Victoires de la musique, a indéniablement le vent dans les voiles, avec l'excellent accueil de son récent EP, Rythmes et botanique (qui sera suivi en 2019 de son deuxième album après Pili Pili sur un croissant au beurre), et la traduction en anglais de Petit pays, qui sera de surcroît adapté au cinéma. La Presse l'a rencontré hier, avant son concert.

Rythmes et botanique est musicalement différent de votre premier album. Comment l'avez-vous conçu?

Je voulais revenir à quelque chose de plus minimaliste, parce que Pili Pili sur un croissant au beurre était un album très généreux - il y avait 30 musiciens en studio, une section cuivres, énormément d'invités. Sur Rythmes et botanique, je voulais revenir au piano-voix, et c'est comme ça que j'ai commencé à travailler, avec le pianiste Guillaume Poncelet. Petit à petit, on a utilisé des simples d'Alan Lomax, le musicologue américain, et ensuite est venue l'idée de la rythmique. On a collaboré avec DJ Blanka, qui a amené une rythmique et des sons plus électroniques. C'est donc ce mélange-là qui s'est fait au fur et à mesure, mais on est vraiment partis du piano et du texte.

Votre roman Petit pays a eu un destin incroyable. Est-ce que c'est entré un peu en conflit avec votre carrière musicale ? Avez-vous été pris de court?

Oui, bien sûr. C'est entré en conflit surtout sur une question d'agenda, plus que sur une position artistique. Finalement, si je fais de la musique, c'est parce qu'il y avait des textes qui étaient là avant, c'est le texte qui m'a amené à la musique, c'est la poésie. Ça n'a donc pas changé mon ADN, sortir un roman et qu'il ait du succès. C'est plutôt que ça m'a rajouté un métier qui n'était pas prévu initialement [rires]. Je pensais que ce roman allait avoir un accueil confidentiel. Je sais que l'Afrique n'est pas un sujet qui passionne le grand public. J'avais pu ressentir l'écho avec mon premier album. Mais ce qui est incroyable avec l'art, c'est qu'il y a des choses qui nous échappent, des fois, il y a des conjonctures qui font qu'une oeuvre rencontre un destin particulier, et c'est tant mieux. J'ai eu à coeur de maintenir ma position de musicien parce que l'un nourrit l'autre. Si j'ai pu écrire ce roman, c'est parce qu'il y avait eu le travail d'écrivain de la musique qui a alimenté le roman et aujourd'hui celui auquel je travaille. Il y a un jeu de vases communicants.

Lorsque vous étiez adolescent, qu'est-ce qui vous a le plus inspiré: la littérature ou le rap?

Je crois que c'est surtout la poésie dans un premier temps. Les poèmes de René Depestre, un écrivain haïtien, ont été une très grande source d'inspiration. La poésie de Prévert et celle de Césaire aussi. Ensuite, bien sûr, la rencontre avec la culture hip-hop, le rap français, et puis la littérature, surtout caribéenne. Mais je suis arrivé à l'écriture de façon assez spontanée, quand j'avais 13 ans, en pleine guerre civile. J'ai commencé à écrire des poèmes alors que je n'avais jamais été un enfant qui lisait ou qui écrivait. Ça a été une nécessité un peu pour moi.

La scène rap explose en France, au Québec et, bien sûr, aux États-Unis. C'est devenu la musique la plus écoutée, plus que le rock maintenant. Comment expliquez-vous ça?

Parce que c'est spontané, ça ne demande pas de prérequis. Pour faire du rap, pas besoin d'être musicien ou d'avoir fait le conservatoire, et de ce fait, c'est aussi une musique qui se renouvelle en permanence, qui suit ou parfois même devance les tendances, qui se réinvente dans son verbe, dans le vocabulaire. On réinvente beaucoup la langue de tous les jours par l'argot ou le slang. C'est comme un virus en mutation permanente. 

Êtes-vous toujours déchiré entre la France et l'Afrique, maintenant que vous vivez depuis 2015 à Kigali, au Rwanda?

Non, je ne ressens plus ce tiraillement. C'est aussi quelque chose que j'ai appris, m'affirmer non pas dans une identité, mais dans deux identités. D'ailleurs, en France, on a eu un débat sur l'identité nationale, comme si c'était au singulier, comme si on était fait d'un seul bloc monolithique. Finalement, je peux être né au Burundi, avoir une mère rwandaise, un père français, vivre entre ces trois territoires indistinctement et être 100 % de tout ça en un seul être, sans que pour autant il y ait de contradictions.