Feu! Chatterton, c'est l'un de ces trop rares accostages d'un vaisseau électro-rock au port de la littérature.

Sans décalage cette fois, le public d'Amérique francophone a été témoin des manoeuvres: nous en sommes déjà au troisième passage d'un groupe dont la discographie ne compte que deux albums studio.

Joint de l'autre côté de l'Atlantique il y a quelques jours, le chanteur et parolier du quintette parisien, Arthur Teboul, s'en étonnait encore.

«Nous avons joué aux Francos de Montréal il y a trois ans. Puis nous avons fait le Club Soda en 2016, c'était plein. Il y avait une ferveur incroyable, nous étions portés par le public. Au MTelus, on attend du monde, nous sommes hyper honorés et hyper chanceux. Nous sommes quand même loin de chez nous, nous ne nous attendions pas à un tel accueil. Nous avons trouvé une famille que nous ne connaissions pas bien.»

Lancé à l'automne 2015 après la sortie d'une paire de maxis, l'album Ici le jour (a tout enseveli) a précédé L'oiseleur, lancé en mars dernier.

Arthur (chant et textes), Sébastien (guitares, claviers), Clément (guitares, claviers), Antoine (basse) et Raphaël (batterie) avaient dessiné les esquisses de ce magnifique tableau dans un appartement du 11e arrondissement à Paris.

Après quoi le chanteur était allé se perdre en Andalousie et en région napolitaine. Son écriture en fut imprégnée, inutile de le souligner. «Les jardins, l'air méditerranéen, la mer, une forme de volupté se sont retrouvés dans mes carnets.»

De retour parmi ses collaborateurs et amis de Feu! Chatterton, Arthur a donné des ailes à ses brouillons, les chansons de L'oiseleur furent créées et prirent leur envol.

«Quand je suis revenu avec cette matière, nous avons travaillé la nuit. Nous avons improvisé des mélodies et des accords autour des mots.»

Des mots «guidés par une joie enfantine»

Les mots d'Arthur seraient «guidés par une joie enfantine, un plaisir, sans trop se demander à quoi ça s'accroche».

Il admet néanmoins s'inscrire dans le sillon de la chanson moderne française :

«Brel, Brassens, Ferré, Gainsbourg, Barbara, c'est une précision, une émotion, une grande intimité. Ils avaient touché quelque chose de très pur. On a partagé leur peine, leur joie, on a compris leur humour, une complicité s'est créée. Une fois bouleversé par ces artistes, j'ai eu envie de faire pareil, c'est-à-dire entrer dans le coeur et dans la tête des gens. Et pas par effraction.»

Aussi féru de poésie française, fin XIXe siècle et début XXe, Arthur doit en partie à Guillaume Apollinaire et à René Char le ton de L'oiseleur.

Il cite cet exemple: «Alcools, d'Apollinaire, c'est d'une modernité absolue. Pour moi, il n'y a pas plus contemporain, plus avant-gardiste. Qui plus est, il arrivait à écrire très simplement alors qu'il était un érudit. Revenir à la simplicité, l'humilité et l'épure, c'est ce qu'il y a de plus difficile, je crois. J'exagère peut-être... et on me dit que je mets aux goûts du jour des formes anciennes... Or, ces formes sont peut-être plus actuelles que celles mises de l'avant par plusieurs en vogue aujourd'hui... et qui périront peut-être très vite.»

La découverte de cette oeuvre poétique centenaire coïncide donc avec l'écriture des textes de L'oiseleur.

«Elle habite ma recherche de quiétude, de tranquillité, de lenteur, de calme, que j'ai trouvée dans la lecture d'Apollinaire. L'auteur invite à cette suspension dans l'espace, à cette contemplation. Cela m'a incité à assimiler ma propre intériorité, à dire quelque chose de moi-même qui relève de la tendresse, de l'intimité, de l'amour, du presque rien de la vie. Cela peut être partagé et relever de l'universel.»

«Laisser la musique s'inviter dans le sens»

On se doute bien qu'Arthur s'identifie aussi à des auteurs plus récents; il citera notamment Jean Fauque, dont les mots furent magnifiés à travers l'oeuvre d'Alain Bashung. Sans la rendre publique pour l'instant, notre interviewé pratique la poésie et... sait bien qu'un texte de chanson exige une conception différente.

«Pour qu'une chanson soit bonne, pose-t-il, le texte ne suffit pas. Les mots doivent se révéler dans la musique. C'est une autre forme. Lorsque je travaille avec mes amis de Feu! Chatterton, quelque chose se fixe lorsque les sons rehaussent le sens des mots. On est alors sur la voie d'une chanson. Pour L'oiseleur, d'ailleurs, nous n'avons pas mis en musique des textes achevés; nous voulions plutôt laisser la musique s'inviter dans le sens ou les mots s'inviter dans le son. Jusqu'à la fin du processus, nous pouvions changer des choses. Ce fut vivant jusqu'au bout.»

Les sons? Rock, électro, hip-hop, trap et plus encore.

«Nous avons été portés par des ambiances cinématographiques, les claviers et synthétiseurs (Korg 900, Roland SH-101, etc.) s'y prêtaient bien, et c'est pourquoi il y a moins de guitare dans L'oiseleur que dans notre premier album. Même si ce disque est d'esprit rock, les styles y sont assez variés; nous nous sommes aussi permis des grooves plus funky, des évocations des années 60-70... pas mal de choses, en fait.»

À l'évidence, le raffinement des textes peut atteindre un équilibre avec des musiques actuelles.

«Nous ne voulons pas faire de revival. L'ivresse, par exemple, est très inspirée par le hip-hop, il y a aussi des traces de trap dans cet album. Nous sommes de notre temps, nos chansons naissent lors de moments inexpliqués. Lorsque nous sommes touchés tous les cinq, nous creusons le même sillon sans nous demander si c'est à la mode ou si cela ressemble à quelque chose.»

Sur scène, les choses se corsent, bien évidemment: Arthur souligne que le groupe s'en tient à l'essentiel et carbure à une énergie rock.

«Apprendre ce métier, estime-t-il avec émerveillement, est une quête infinie. On ouvre une porte, un autre champ de possibles s'ouvre à soi. La musique et la chanson ne sont pas des moyens d'arriver quelque part, c'est le but en tant que tel.»

____________________________________________________

Au MTelus, ce soir à 21 h, précédé de L'Impératrice.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Les membres du groupe Feu! Chatterton