Les deux icônes montent ce soir sur scène et entremêlent leurs voix pour Le condamné à mort de Jean Genet, un sublime poème sulfureux, mû par de fortes pulsions érotiques.

Le spectacle a créé l'événement au Théâtre de l'Odéon de Paris l'automne dernier. Jean Genet aurait eu 100 ans. Pour marquer le coup, Jeanne Moreau et Étienne Daho furent invités à livrer sur scène Le condamné à mort, le tout premier texte de l'auteur des Paravents, mis en musique par la compositrice Hélène Martin dans les années 60.

En 1941, du fond d'une geôle, le jeune trentenaire «délinquant» s'était mis à l'écriture parce qu'il en avait marre de la poésie «idiote et pleurnicharde» que pondaient ses compagnons d'infortune pour leurs amoureuses impatientes. Le condamné à mort fut couché sur papier par défi, un soupçon d'arrogance bien accroché à la plume. L'auteur s'adresse à Maurice Pilorge, un «assassin de 20 ans» guillotiné deux ans plus tôt, fantasme inaccessible sur lequel il projette ses pulsions amoureuses et homo-érotiques de façon franche, subversive, sublime.

«Quand ses écrits furent publiés au début des années 50, Jean fut tout de suite reconnu comme un être scandaleux, a raconté Jeanne Moreau au cours d'une interview accordée hier à La Presse. Étant plutôt insoumise de nature, sa poésie m'a touchée.»

Étienne Daho, dont la dernière présence sur une scène montréalaise remonte à 1993, avait déjà évoqué l'univers de Jean Genet en reprenant Sur mon cou, justement tiré du Condamné à mort. Depuis plus de dix ans, cette chanson constitue d'ailleurs l'un des moments forts de ses spectacles. L'idée de reprendre le poème dans son intégralité, en réarrangeant la trame musicale composée par Hélène Martin, lui trotte dans la tête depuis longtemps.

«J'ai entendu cette poésie pour la première fois à l'adolescence et j'en fus renversé, explique celui qui a émergé sur la scène pop au cours des années 80. Cette parole est parfaitement libre. Elle évoque l'élan du désir et révèle une audace magnifique. Quand on reçoit ces mots à 15 ans, au moment où l'on est porté par un désir incandescent, ils sonnent incroyablement juste.»

«Ce qu'il y avait de formidable chez Jean, ajoute Jeanne Moreau, c'est qu'il émane de sa poésie une rébellion, une affirmation, un commentaire social sans qu'il n'ait jamais besoin d'insister là-dessus.»

Une illumination

S'il avait au départ imaginé concevoir la nouvelle interprétation du poème pour sa seule voix, Étienne Daho s'est vite tourné vers Jeanne Moreau. L'actrice, dont le parcours a déjà croisé celui de Jean Genet, avec qui elle partagea quelques soirées, avait déjà fait part de son enthousiasme directement à la pop-star après avoir entendu Sur mon cou lors d'un spectacle à l'Olympia. Bien des années plus tard, un enregistrement sur disque a été enfin réalisé. Le condamné à mort fut sans doute l'un des plus beaux albums produits dans la francophonie l'an dernier.

«Quand Jeanne est venue me dire son émotion, ce fut pour moi une illumination! a rappelé Étienne Daho. Jusque-là, j'avais envie de m'attaquer à ce texte, mais j'attendais un miracle, le moment idéal. Avec Jeanne, dès ce soir-là, ce fut l'évidence. Cela ne pouvait pas être quelqu'un d'autre qu'elle.»

«Il fallait insister sur la dualité masculin/féminin du poème et du poète, fait remarquer l'actrice. Nous possédons tous cette double dimension. Étienne et moi incarnons les deux faces d'une seule et même personne.»

Le spectacle, très dense mais très court (à peine une cinquantaine de minutes), est empreint de sobriété et laisse toute la place à la poésie musclée d'un auteur dont les mots parfois très crus ont transpercé le fil du temps. Soixante-dix ans plus tard, les images très fortes que charrie ce texte ont plus que jamais la faculté de secouer les idées reçues.

«Nous vivons une époque dangereuse, estime Jeanne Moreau. La censure rôde partout. Comme une censure masquée qui marche à pas feutrés. Voilà pourquoi la parole de Genet est si libératrice. Je ne remercierai jamais assez Étienne pour ce cadeau.»

Par ailleurs, les admirateurs québécois du chanteur peuvent désormais espérer voir leur idole sur scène dans un spectacle constitué de ses propres chansons.

«Grâce à Jeanne, grâce à Genet, me revoici à Montréal, dit en souriant celui qui n'aime pas voyager en avion. Et je vais continuer.» Espoir, donc.

Le condamné à mort est présenté ce soir, à 20h, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Pierre Lapointe seul au piano en lever de rideau.