Le profil biographique du pianiste et claviériste Marc Cary, 48 ans, nous indique qu'il a travaillé avec vivants et disparus notoires: Roy Hargrove, Dizzy Gillespie, Wynton Marsalis, Betty Carter,  Abbey Lincoln, Carmen McRae, David Murray, Erykah Badu, MeShell Ndegeocello, Q-Tip, on en passe. Pour le moins impressionnante, cette feuille de route implique forcément une inclination pour moult variantes de jazz, de R&B et de hip hop. Vendredi soir, c'était la variante groove au programme de L'Astral. Pas à peu près.

Paru sous étiquette Motéma, l'album Rhodes Ahead Vol 2 constituait la matière principale à relire, un projet relancé contre toute attente en 2015 - sous la même bannière, un premier opus avait été lancé par Marc Cary en 1999. Pas de piano sur scène, donc; le leader se limite au jeu d'un Fender Rhodes (déficient en fin de premier set et remplacé par un autre à l'entracte), ainsi que d'un synthétiseur monophonique. Avec la section rythmique d'enfer dont il dispose, c'est amplement suffisant pour meubler l'espace!

Usant d'une basse électrique «normale», c'est-à-dire une bonne vieille Fender quatre cordes comme à l'âge d'or du jazz funk, Rashaan Carter se montre plus qu'excellent. Vieille école? Nenni, son jeu de très bon goût transcende le passé tout en s'inscrivant dans cette culture de la basse afro-américaine - on pense aux Paul Jackson, Alphonso Johnson, Stanley Clarke, Abraham Laboriel, Marcus Miller, Victor Wooten, etc.

Par la même occasion, on découvre le batteur Sameer Gupta, visiblement originaire de l'Asie méridionale, mais ayant grandi en Californie avant de s'installer à Brooklyn. Sans contredit, ce percussionniste maîtrise parfaitement les polyrythmes essentiels à la musique ici préconisée, c'est-à-dire un jazz-groove mâtiné de R&B, mais aussi de house, jazz auquel Gupta peut assortir un jeu de tabla de très bon niveau.

Ce que préconise le Focus Trio de Marc Cary, force est d'observer, se déploie à l'horizontale: dans ces structures relativement simples, la complexité rythmique s'exprime à travers les percussions, mais aussi  le discours mélodico-harmonique des claviers et de la basse. Tout est là. Et on est là pour faire le voyage, le Rhodes trip...

Mukashi Trio: jazz de chambre à l'africaine

Noah Jackson, contrebasse et violoncelle. Cleave Guyton, flûte et clarinette. Ces musiciens forment le Mukashi Trio avec le patriarche du jazz sud-africain, Abdullah Ibrahim. Jazz de chambre à l'africaine?  Pour ce deuxième de trois concerts donnés au Gésù par le pianiste et compositeur, les emprunts à ladite musique sérieuse de tradition européenne s'avèrent  modestes, voire rudimentaires, et ce malgré ses intentions d'intégrer des composants classiques dans un contexte afro-jazzistique.

Au terme d'une longue introduction en solo qui n'est pas sans rappeler le très beau concert de la veille, le pianiste se fond dans le contrepoint des instruments mélodiques. Flûte traversière avec violoncelle, flûte avec contrebasse, contrebasse avec clarinette, etc. Toutes les combinaisons possibles de la lutherie disponible s'enchaînent avec le discours pianistique qui sert de liant aux parties jouées à deux ou à trois.

Malgré une exécution technique parfois discutable (surtout le violoncelle et la clarinette), l'heure et demie (ou presque) passée au Gesù n'en sera pas moins instructive. Marquante? Non, mais... différente de ce que nous offre normalement le jazz de chambre.

Eliane Elias: cliché et... authenticité

Au Monument national, c'était le Brésil jazzy de la pianiste, chanteuse et spectaculaire Eliane Elias, qui se permet encore de jouer la carte sexy à la mi-cinquantaine. On la connaît depuis les années 80, on sait qu'elle se débrouille très bien au piano et qu'elle mène une carrière de chanteuse de catégorie «adulte-contemporain», un peu comme le fait la Canadienne Diana Krall.

Accompagnée par son contrebassiste de mari, l'Américain Marc Johnson, et des compatriotes jazzmen enclins à la samba et la bossa nova, le batteur Mauricio Zottarelli et le guitariste Rubens de Lacorte, Eliane Elias s'applique surtout à jazzifier des classiques de la musica popular brasileira. Tout y passe, de Gilberto Gil à Tom Jobim, Vinicius de Moraes ou Roberto Menescal, on en identifie presque tous les airs. Paradoxalement, cliché rime ici avec qualité et authenticité, car après tout, il n'y a rien d'emprunté là-dedans; Eliane Elias a côtoyé les plus grands de la bossa nova, elle peut donc s'en revendiquer légitimement.

Photo Denis Alix, fournie par le FIJM

Alain Caron pour basse, piano et cordes

En fin de soirée, le célébrissime Alain Caron proposait  à ses fans venus remplir Gesù des compositions de son cru,  arrangées par son très doué collègue, le pianiste John Roney. Au menu, donc, musiques du musicien québécois pour piano, basse électrique et cordes acoustiques du Quatuor Alcan. Écriture impeccable, finesse, virtuosité et rigueur étaient au programme de ces exercices de styles bellement exécutés. En fait, ces compositions ne se démarquent pas pour leur singularité; on en reconnaît les traits et les contours, à l'exception peut-être du rôle de soliste qu'y joue la basse électrique.

Photo fournie par le FIJM