Force est de conclure que le Neil Cowley Trio a complété la première phase de son implantation auprès des mélomanes montréalais. Tout indique que la prochaine escale de la formation britannique sera prévue dans une salle plus considérable que l'Astral, vu le potentiel de rayonnement mesuré à l'applaudissomètre. Il y a des signes qui ne mentent pas...

Sous sa propre étiquette, Hide Inside Records, le prolifique pianiste et compositeur anglais a créé des albums qui frappent l'imaginaire d'un nombre croissant de jazzophiles et autres mélomanes «en développement», tout simplement parce que leur contenu colle à la culture actuelle: Displaced, meilleur album aux BBC Jazz Awards de 2007, Loud... Louder... Stop! en 2009, Radio Silence en 2010 et The Face of Mount Molehill en 2012.

Tiré principalement de son récent opus (Lament, Skies Are Rare, etc) et de productions antérieures (Hug The Greyhound, How Do We Catch Up, Box Lily, etc.), le répertoire proposé vendredi couvre un spectre complet de l'expression musicale signée Neil Cowley. Spectre vaste, de la grande intensité à la ténuité cristalline.  Usage de mesures composées (7/4, etc.), progressions harmoniques très modernes, discours percussif où le leader martèle virilement les ivoires, emprunts occasionnels au swing jazzistique, lyrisme mélodique souvent proche de la pop, exploitation d'une instrumentation jazzy (Cowley au piano, Rex William Horan à la contrebasse, Evan Jenkins à la batterie), humour ... anglais! Et peu d'improvisation au programme.

Alors? Qu'il s'agisse ou non de jazz n'a aucune importance dans le cas qui nous occupe.

À l'instar de Get The Blessing venu au FIJM le week-end dernier, le trio du pianiste anglais mobilise des auditoires plus jeunes et mieux branchés sur l'actualité musicale... parce qu'il «parle» plus jeune. Parce que les références s'inscrivent non seulement dans le monde jazzistique mais aussi dans les univers de la musique classique contemporaine, des grandes musiques de film ou de la pop de création. Il faut rappeler que Neil Cowley a déjà travaillé auprès de formations qui n'ont que peu à voir avec le jazz - Zero Seven, Brand New Heavies ou même aux sessions de l'album 21 qui a propulsé la jeune chanteuse Adele au firmament des mégastars de la pop anglaise.

De son côté, le leader de ce vivifiant trio propose une musique assez exigeante pour les amateurs de musique instrumentale. On verrait bien Patrick Watson y faire une paire d'apparitions comme il l'a fait il y a quelques années pour le Cinematic Orchestra. On imaginerait une collaboration avec les Luyas ou Braids. On prévoirait un programme triple avec Bell Orchestre et Esmerine. Ou quadruple avec Colin Stetson. Enfin vous voyez où je veux en venir avec ces associations montréalaises, purement hypothétiques - voire tirées par les cheveux, on en convient.

Manière de souligner que cette musique instrumentale interpelle des jeunes auditoires ouverts à une  «jazzification» de l'univers actuel de la culture indie. Comme l'ont fait Brad Mehldau ou The Bad Plus au cours de la décennie précédente et font toujours aujourd'hui. Musiciens émergents, mélomanes émergents.