Depuis la fin des années 90, cet excellent saxophoniste portoricain évite ou déjoue les clichés du jazz latin que d'aucuns auraient bien aimé lui scotcher. Plusieurs musiciens latino-américains de haut niveau, il faut dire, en ont marre d'être associés à ce genre plus festif, qui peut avoir ses limites. Ainsi, certains musiciens préfèrent sortir carrément de ce cadre pour être admis à part entière dans la communauté jazzistique, refusant ainsi d'y accéder par la porte de l'exotisme.

C'est le cas de David Sanchez, un saxophoniste ténor que l'on doit compter dans l'élite mondiale du jazz actuel. Une fois de plus, la soirée de samedi, m'en a convaincu.Au Théâtre Jean-Duceppe, nous étions en plein territoire contemporain. La quête d'un langage raffiné, très solide harmoniquement, à la fois ouvert et rigoureux, s'y manifestait sur de vastes étendues. Parfaitement soudé, ce quartette m'est apparu comme un organisme vivant au service de différentes dynamiques.

Lage Lund, guitare, EJ Strickland, batterie, Orlando Le Fleming, contrebasse, David Sanchez, saxophone ténor, voilà un personnel usant d'une instrumentation d'allure conformiste, mais dont la singularité s'exprime dans le détail.

Le choix d'une guitare sobre, très ancrée dans le style jazzistique, confère une plénitude harmonique, contre laquelle David Sanchez choisit d'opposer une redoutable section rythmique.

Contraste des plus intéressants. Pendant que Lage Lund élabore un discours harmonique parfaitement compétent et d'autant plus fluide, sans pour autant déroger des paramètres esthétiques de la guitare jazz (dénudée, sans effets), la batterie d'EJ Strickland et la contrebasse Orlando Le Fleming ne ménagent pas les chargent d'intensité.

À partir de ce contraste, David Sanchez peut installer un discours riche, savant, mais aussi intense et fervent. La tête du saxophoniste est en connexion directe avec le bas ventre, ce à quoi on s'attend d'une grande soirée de jazz.

Fondé surtout sur la matière de l'album Cultural Survival (étiquette Concord Picante), le programme de ce concert exemplaire est constitué de ballades et de pièces très fortes sur le plan rythmique. Il sera coiffé d'un tableau ambitieux et d'autant plus superbe, exposé par le quartette en fin de programme. J'allais écrire aucun jazz latin à l'horizon lorsque des éléments discrets de la Caraïbe ont fait en sorte qu'on souvienne des origines portoricaines du leader.

Ce n'était qu'un rappel subtil de cette rencontre d'autant plus subtile.