Le hasard amène au 31e Festival de jazz Ben Sidran, Boz Scaggs et Steve Miller, qui jouaient dans le même groupe à l'université. Mais pendant que ses deux camarades dominaient les palmarès des années 70, Sidran a bifurqué vers le jazz. Demain soir, au Club Soda, il chantera Dylan. À sa manière.

À 12 ans, Ben Sidran jouait dans un groupe avec son ami Steve Miller et, comme Boz Scaggs, il a brièvement fait partie du Steve Miller Band pour lequel il a écrit le succès Space Cowboy. Il a encore collaboré avec Miller et Scaggs dans les années 90.

Mais Sidran a un parcours plus atypique que ses deux amis. Non seulement est-il chanteur-claviériste-auteur-compositeur-réalisateur, mais il est aussi animateur de radio - il a interviewé Miles Davis, Dizzy Gillespie et Art Blakey -, docteur en philo et en études américaines ainsi que musicologue et auteur d'essais dont le prochain s'intitulera Jews, Music and the American Dream. Cet Américain à la sensibilité très européenne a aussi, depuis 30 ans, ses entrées en France où il a enregistré son dernier album, Dylan Different, au studio de Rodolphe Burger, ancien collaborateur de Bashung. Un disque à la fois audacieux, étonnant et amusant.

«J'ai des raisons évidentes de reprendre Dylan, dit Sidran au téléphone. Tous les deux, nous aimons les mots, nous sommes de la même génération et nous venons du Midwest. Dylan n'a pas vraiment de racines dans le jazz, mais pour demeurer fidèle à son esprit tout en faisant quelque chose de personnel, ça m'a pris une forme de maturité que je n'avais pas auparavant.»

Dans les années 60, Sidran a été marqué par Dylan, qui lui a montré que tout était possible à condition de bien utiliser ses talents: «Dylan a influencé beaucoup de monde comme moi. J'avais une certaine facilité avec le langage, mais je n'avais pas une voix de pop star. J'ai appris à utiliser ma voix d'une façon élégante.»

Sidran trace même un parallèle entre Dylan et Miles Davis, un autre artiste libre: «J'ai demandé à des musiciens qui ont travaillé avec Miles, comme Herbie Hancock et Tony Williams, comment il les avait influencés. Ils ont tous répondu la même chose: "Il m'a simplement dit d'être moi-même, de faire ma propre affaire." C'est très semblable à ce que Dylan a fait.»

Dylan, l'oeuvre d'art

Sidran a croisé Dylan à quelques reprises, mais ils ne se sont vraiment parlé qu'une fois, en Finlande, en 1973. Il affirme que Dylan s'est inventé lui-même et que tous ceux qui cherchent à départager le vrai du faux en ce qui le concerne font fausse route: Dylan est sa propre oeuvre d'art. La seule manière de s'approprier ses chansons est d'inventer à son tour.

C'est justement ce qu'a fait Sidran sur le bien nommé Dylan Different où il propose des relectures tellement étonnantes de certains classiques de Dylan qu'on a peine à les reconnaître. Sa Rainy Day Women #12&35, tellement cool que ç'en est drôle, annonce ses couleurs: impossible de s'attaquer à Dylan sans le désacraliser.

«C'est le côté jazz de la chose, explique Sidran. De toute façon, quand on lit des comptes rendus de cette séance d'enregistrement, tous les musiciens (Mike Bloomfield, Al Kooper...) mentionnent que Dylan ne leur a pas dit quoi jouer ni comment jouer. Il n'y avait rien de sacré là-dedans. Dylan a été un personnage social tellement important pour nous tous que nous n'osions pas nous permettre ce genre de libertés avec lui. La première partie de mon arrangement de Rainy Day Woman #12&35 est basée sur So What de Miles Davis et la deuxième, «everybody must get stoned», est un emprunt direct à Blue Monk, de Thelonious Monk. C'est comme une blague personnelle, des citations que certaines personnes vont reconnaître et trouver amusantes.»

Demain soir, Sidran sera accompagné de trois musiciens, dont son fils Leo à la batterie, et il reprendra une quinzaine de chansons de Dylan puisées parmi celles de Dylan Different et la dizaine d'autres qu'il a retravaillées (Like a Rolling Stone, Love Minus Zero...). Un concert qui, jazz oblige, comportera sa part d'improvisation.

Sidran constate que Dylan Different lui a amené un nouveau public qui n'est pas tellement différent du sien, mais il n'est surtout pas question d'enregistrer une suite: «Je ne veux pas que ça ait l'air d'une recette. Il y a 30 ans, j'ai enregistré de la musique liturgique hébraïque avec des musiciens de jazz et on m'a souvent réclamé une suite. Pourquoi le refaire? Peut-être que la prochaine fois, ça ne fonctionnera pas!»

Ben Sidran, au Club Soda, demain à 19h.