Comment se forme le talent extraordinaire des enfants prodiges du piano ou du violon qui, depuis l'époque de Mozart, ont tant fait courir les foules? Sans résoudre entièrement le mystère, la science s'est penchée sur la question depuis les années 20, et aujourd'hui, les neuroscientifiques s'y intéressent de près. Samedi, un concert-conférence pour aider le public à mieux comprendre le phénomène est présenté par le Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son (BRAMS).

Tiffany Poon, la jeune pianiste chinoise de 16 ans qui jouera au concert, a commencé à s'intéresser d'elle-même à la musique à 2 ans. Elle essayait d'imiter, sur un piano-jouet, les mélodies entendues à la télévision. Constatant son intérêt, ses parents l'ont encouragée. Bien vite, Tiffany a préféré le magasin de disques au magasin de jouets! À quatre ans et demi, elle a commencé ses leçons de piano. Trois ans plus tard, elle s'exerçait déjà de trois à quatre heures par jour, avec le soutien constant de sa mère.

Cependant, sa façon bien personnelle d'apprendre lui a causé quelques problèmes. Puisqu'elle préférait écouter des disques et tenter d'apprendre par elle-même ses pièces favorites au lieu de suivre une méthode traditionnelle, elle n'entrait pas dans le moule pédagogique. À 9 ans, elle a donc déménagé à New York avec sa mère pour continuer son apprentissage à la prestigieuse Juilliard School of Music.

Gary McPherson, directeur du Conservatoire de musique de Melbourne, est l'un des chercheurs les plus éminents dans le domaine du talent musical chez les enfants. Il a suivi les progrès de Tiffany Poon pendant six ans. Selon lui, elle présente les caractéristiques communément observées chez les enfants prodiges.

«On constate chez tous ces enfants une soif intense d'apprendre, presque une rage, qui se traduit par une motivation spontanée à travailler. Ils pratiquent une forme d'autodiscipline et possèdent une capacité de concentration supérieure. Un autre trait fréquent est qu'ils aiment fonctionner à leur façon et à leur rythme. Tiffany avait ses propres objectifs d'apprentissage, mais ses professeurs voulaient constamment la ramener aux méthodes conventionnelles, c'est pourquoi elle ne se sentait à l'aise avec aucun d'entre eux.»

Le rôle des parents est crucial dans la progression du talent de l'enfant. Ils doivent notamment être attentifs à l'apparition des «périodes critiques», explique le chercheur. Ces périodes, de durée variable, apparaissent chez tous les enfants, à divers stades de leur développement, dès le plus jeune âge. L'enfant démontre alors un intérêt vif et subit pour une activité particulière, par exemple le dessin, la musique ou la danse. Chez Tiffany Poon, cette première période critique a été révélée par son piano-jouet, l'étincelle qui a tout déclenché.

«Si ses parents n'avaient pas été attentifs à cet intérêt pour la musique et n'avaient pas facilité son développement en lui fournissant l'encadrement nécessaire, sa motivation aurait pu se dissiper, souligne le chercheur. Toutefois, il ne faut jamais oublier qu'ultimement, la volonté de consacrer du temps et de l'énergie à apprendre un instrument doit venir de l'enfant, car sa vie lui appartient.»

L'enfant prodige et la société

Bien des enfants démontrent des aptitudes remarquables pour le plongeon, le dessin, le théâtre ou les mathématiques. On utilise alors les mots «talentueux» ou «surdoué» pour en parler, tandis qu'historiquement, le terme d'enfant prodige semble avoir le plus souvent été réservé aux musiciens.

«La musique classique se prête particulièrement au phénomène, car elle requiert une habileté technique plus facile à acquérir en bas âge. C'est fascinant pour le public et les médias. Il y a eu, dans l'histoire occidentale, une quête constante de l'enfant prodige qui n'a pas été sans effets pervers. Certains, devenus adultes, se sont plaints d'avoir été forcés à trop de travail. Dans certains cas, ils se sont même lassés de leur instrument. De plus, le terme d'enfant prodige est galvaudé. Il est chargé d'un parti pris idéologique datant du XVIIIe siècle, époque où l'on estimait que certains êtres avaient reçu un don des dieux», explique Danick Trottier, musicologue et directeur adjoint du Laboratoire musique, histoire et société de l'Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique.

«Chacun naît avec des aptitudes, mais il ne faut pas croire que ce don permet, du jour au lendemain, de jouer des sonates de Beethoven, ajoute-t-il. Il y a là un mythe entretenu, entre autres, par le cinéma, avec des films comme L'enfant prodige, sur la vie d'André Mathieu. En lisant les biographies de grands musiciens, on constate que beaucoup d'entre eux venaient d'une famille de musiciens ou, du moins, qu'ils ont grandi dans un environnement où la musique jouait un rôle important. De plus, ils ont passé d'innombrables heures à s'exercer à leur instrument. Je suis convaincu que d'autres jeunes naissent avec un talent, mais qu'il n'est tout simplement jamais développé. Souvenons-nous que le père de Mozart était compositeur, tout comme celui d'André Mathieu.»

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Concert-conférence Né pour la musique? Tiffany Poon, pianiste, Gary McPherson et Danick Trottier, conférenciers. Demain, 16h, à la salle Claude-Champagne.

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Enfants prodiges d'hier à aujourd'hui

Mozart 1756-1791. À 6 ans, il compose déjà ses premières oeuvres.

Franz Liszt 1811-1886. À 11 ans, il devient concertiste.

Yehudi MeNuhin, violoniste, 1916-1999. À 11 ans, il se produit à Carnegie Hall.

André Mathieu, pianiste et compositeur, 1929-1968. Il compose à partir de 4 ans et donne son premier concert un an plus tard.

Anne-Sophie Mutter, violoniste, 1963-  . À 13 ans, elle joue avec l'Orchestre philharmonique de Berlin.

Lang Lang, pianiste, 1982-  . Il commence le piano à 3 ans, donne son premier concert à 5 ans et, à 13 ans, joue toutes les études de Chopin en concert au Beijing Concert Hall.

Photo archives La Presse

Yehudi MeNuhin